Pour Benjamin Hennequin, à la tête de l’entreprise du même nom, l’interdiction de sortie de certains pêcheurs, du 22 janvier au 20 février inclus, représente des « pertes folles ».
Installée au coeur de la criée, bâtiment en béton à l’odeur de marée, sa société de mareyage compte 23 employés, dont huit au chômage partiel, faute d’arrivages.
« C’est la période de la sole: on fait normalement le plus gros chiffre d’affaires de l’année. Ce matin, on en a eu 290 kg. En temps normal, on peut avoir plusieurs tonnes », détaille M. Hennequin. « On est en train de perdre tous les marchés étrangers car il n’est pas rentable d’exporter de trop petites quantités. »
Si des camions embarquent bien son poisson à l’arrière de la criée, « d’autres clients sont déjà partis ailleurs, chez les Hollandais notamment, et peut-être pour de bon », dit-il.
L’interdiction de pêche concerne quelque 450 navires (de huit mètres ou plus, équipés de certains filets), afin d’éviter les captures accidentelles de dauphins et marsouins, à la suite d’une décision du Conseil d’État.
Diverses associations environnementales demandaient au gouvernement d’agir depuis plusieurs années.
-« La colère qui sort »-
Pêcheur à l’île d’Yeu depuis 27 ans, Adrien Delavaud s’excuse de « parler sec »: « C’est la colère qui sort. »
Interdit de sortie, il emploie habituellement six marins sur son bateau, le « Camelys ». Il s’agace de l’avoir équipé « pour rien », l’an dernier, d’un répulsif acoustique.
« C’est injuste: de gros efforts ont été faits et les pêcheurs sont quand même punis. Si le gouvernement veut la fin de la pêche artisanale française, c’est bien parti. On ne va peut-être pas tous s’en sortir », soupire-t-il.
Pour compenser les pertes, le gouvernement a annoncé des indemnités à hauteur de « 80 à 85% » du chiffre d’affaires pour les pêcheurs et de 75% de l’excédent brut d’exploitation pour les mareyeurs.
« On espère être payé rapidement. On a des salaires à payer aux gars. Il faut qu’ils vivent », lâche Benoit Normant, 33 ans, patron de L’Aurore Boréale, un fileyeur de 11 mètres, qui emploie deux matelots, à Audierne (Finistère).
Dans ce port de la pointe bretonne, à l’extrême nord du golfe de Gascogne, une dizaine de fileyeurs sont alignés le long du quai sous une pluie fine. Quelques patrons pêcheurs « bricolent » à bord pour tuer le temps.
« Si j’ai hâte de repartir? Ah bah, ouais, je tiens plus en place », confie Matthieu Claquin, 27 ans, patron du Noz-Dei II, un fileyeur de 11 mètres, en scrutant les zones de pêche sur son écran.
Comme d’autres, il fulmine contre les « ONG extrémistes » ou le comité national des pêches qui « ne nous défend plus ». Des dauphins, il reconnaît en capturer accidentellement, « quatre ou cinq par an », mais « soit ils sont malades, soit ils se laissent mourir », assure-t-il.
-« Barrière symbolique »-
Benoit Normant insiste lui sur les différentes sortes de répulsifs acoustiques, testés sur ses filets, sur la coque de son bateau, et par les observateurs scientifiques accueillis à bord. « On fait des efforts, faut pas croire qu’on fait rien… Et tout le monde s’en fout », peste-t-il.
De l’autre côté du port, la criée est désespérément vide, casiers rangés, fenwicks à l’arrêt, quand elle brasse d’habitude 5 à 10 tonnes de poissons par jour.
« Il est temps que ça reprenne », se désole François Priol, son directeur, qui a perdu jusqu’à 80% de ses tonnages habituels depuis le 22 janvier.
« On ne se rend pas compte de l’impact psychologique » de cette fermeture « inédite » de la pêche, souligne Thomas Le Gall, président de l’association Pêche Avenir Cap Sizun.
« On a franchi une barrière symbolique », ajoute-t-il. « Maintenant, on se demande si ça ne sera pas fermé quatre mois l’an prochain… »