Les maux multiples d’une Martinique en crise

Fort-de-France, 27 sept 2024 (AFP) – Taux de pauvreté élevé, déclin démographique, homicides par arme à feu nombreux… Les difficultés de la Martinique sont diverses et profondes, au-delà du mouvement contre la vie chère qui secoue l’île française des Antilles, selon des experts interrogés par l’AFP.

– Ralentissement de l’économie et pauvreté élevée

Après une « croissance exceptionnelle » à 5,6% en 2022, captant les « effets de la reprise post-Covid », la Martinique a connu un « ralentissement » en 2023, qui se poursuit en 2024, souligne Adrien Boileau, expert à l’Iédom, l’organe de la Banque de France dans les outre-mer.

La consommation y ralentit malgré l’inflation (+3,3% en mai) qui recule tout en restant, depuis mars, plus élevée qu’en métropole, note-t-il.

Dans cette île à près de 7.000 kilomètres de Paris, le prix des denrées alimentaires est 40% plus cher que dans l’Hexagone, selon l’Insee, en 2022.

Or plus d’un Martiniquais sur quatre (27%) vit sous le seuil de pauvreté, près de deux fois le taux de la France métropolitaine (14,4%), selon des chiffres de 2020.

Dans le même temps, rappelle le sociologue et écrivain André Lucrèce, les fonctionnaires – environ un tiers des salariés – perçoivent une « prime de vie chère », une « majoration de traitement » de 40% qui entretient selon lui la spirale inflationniste.

Une « intuition » non mesurée, nuance Adrien Boileau de l’Iédom, pour qui cette sur-rémunération peut toutefois « jouer sur les prix », avec une population « en capacité de consommer ».

– Problèmes sanitaires

Des problèmes sanitaires attisent les colères et renforcent la défiance à l’égard des autorités et notamment de l’Etat, dans un territoire colonisé par la France en 1635.

C’est le cas du scandale de la pollution au chlordécone, pesticide répandu dans les bananeraies et interdit seulement en 1993 aux Antilles, environ 15 ans après les premières alertes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En Guadeloupe et Martinique, plus de 90% de la population adulte est contaminée, selon Santé Publique France, et les Antillais présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.

Autre fléau environnemental qui n’est pas sans conséquences sanitaires: les sargasses, ces algues brunes invasives qui s’échouent sur le littoral Atlantique des Antilles.

En pourrissant, elles dégagent du sulfure d’hydrogène, de l’ammoniac et d’autres gaz toxiques pour les populations riveraines.

« On observe une persistance des symptômes d’inflammations, des effets respiratoires mais aussi neurologiques », avait décrit en février le Dr Dabor Résière, toxicologue au CHU de Martinique, lors de la restitution des conclusions d’une étude scientifique intitulée Sargacare.

– Démographie atone et exil des jeunes

Le sociologue André Lucrèce pointe aussi le « problème démographique » de la Martinique, qui « perd sa jeunesse » diplômée.

Elle comptait 31% de moins de 25 ans en 2013. Dix ans plus tard, ces jeunes représentaient 26% de la population, d’après l’Insee.

« Beaucoup de jeunes vont, bien entendu, dans l’Hexagone, mais pas seulement: au Canada, aux États-Unis », avance l’écrivain. Et il s’agit de jeunes « en âge de faire des enfants », complète Adrien Boileau. En cause selon lui: « un manque d’attractivité. »

« C’est vraiment un manque à gagner pour l’économie martiniquaise. Et ça explique aussi le déclin du solde naturel », poursuit l’économiste.

La baisse démographique s’explique également par un solde migratoire structurellement négatif.

Résultat: l’île a perdu 10.000 habitants en trois ans, passant de plus de 360.000 habitants en 2021 à un peu moins de 350.000 en 2024, selon l’Insee.

En 2022, la Martinique est devenue la région la plus âgée de France: un tiers de ses résidents ont 60 ans et plus.

– Flambée des violences par arme à feu

Une autre crise, « singulière », est « arrivée là comme une baffe » selon André Lucrèce: la flambée des homicides, notamment par arme à feu.

Depuis le début de l’année, l’île a enregistré près de 20 homicides selon le parquet, dont la moitié par armes à feu. En 2023, 25 homicides avaient été comptabilisés, et 26 en 2022, selon cette même source.

« On n’a jamais connu ça », souligne M. Lucrèce, qui rappelle que les coutelas, ces grands couteaux à large lame, étaient davantage impliqués dans les différends par le passé.

« Un tiers des meurtres commis en Martinique sont liés à des règlements de comptes » sur fond de trafic de stupéfiants, avait déclaré la procureure de la République de Fort-de-France Clarisse Taron en décembre.

La forte circulation des armes dans les territoires ultramarins explique aussi des taux de vol avec arme par habitant nettement plus élevés que la moyenne nationale (0,1 pour 1.000). C’est le cas en Martinique, où il est six fois supérieur (0,6 pour 1.000).

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