Avis de tempête (par Jean-Marc Roué, Président de Brittany Ferries)

2025 aurait dû être une belle année pour la France Bleue. Mais l’horizon s’obscurcit et des vents de tempête se lèvent. Avec, dès la veille de l’examen du Projet de loi de finances 2026, ces députés criant haro sur la taxe au tonnage, après avoir déjà dépouillé, il y a un an, les trois-quarts des armateurs de France d’une partie des exonérations de charges patronales. Sont-ils conscients qu’ils affaiblissent d’autant nos capacités d’investissement dans la décarbonation de nos entreprises maritimes ?

Sont-ils conscients qu’ils mettent en péril l’emploi du Marin français et ses filières de formation comme l’École nationale supérieure maritime (ENSM) ? Que du Transmanche à la Méditerranée, ils favorisent l’implantation de compagnies étrangères jouissant d’avantages fiscaux interdits aux compagnies françaises ? Nos concurrents européens et extra-européens se voient subventionnés à hauteur des cotisations patronales et salariales, et parfois du montant de l’impôt sur le revenu payé par leurs marins : c’est le « netwage », tel que permis par la Commission européenne au secteur maritime depuis 20041 mais que la France nous refuse obstinément.

Cette concurrence déloyale, nous la subissons, en serrant les dents, depuis des années. Elle a eu raison de toutes les compagnies françaises du Transmanche, à l’exception de Brittany Ferries. Désormais, nos concurrents sont des entreprises danoises, irlandaises ou doubaïotes aux régimes fiscaux sans commune mesure avec le nôtre… Et dont les marins ne sont pas aux 35 heures ! En 2020, après la crise sanitaire, nous avions obtenu pour les dernières entreprises d’armement françaises des allègements de cotisations sociales (SEAM). Ce dispositif permettait d’infléchir cette distorsion de concurrence patentée. Il n’a pas été prorogé en 2025. Pour Brittany Ferries, cela se traduit par une masse salariale alourdie de 12 millions d’euros cette année !

« LA DÉCARBONATION DU MARITIME COMMENCE MAL »

Parlons d’ETS2 maintenant ! La décarbonation du maritime aurait dû prendre son essor sur la base d’une redistribution d’une partie de cette taxe aux compagnies maritimes vertueuses3. Fabrice Loher, alors ministre délègue charge de la mer et de la pèche, le confirmait aux Assises de l’Economie de la Mer, comme le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, à la soirée annuelle d’Armateurs de France. L’ETS du shipping devait aller à la décarbonation du maritime, c’était promis-juré ! Aujourd’hui, c’est black-out total sur les critères et le montant de cette hypothétique redistribution. Et comment ne pas parler des modalités de calcul des ETS ? L’Ademe et l’ESTACA ont prouvé que les émissions de méthane des navires à propulsion GNL de Brittany Ferries sont inférieures de plus de 50 % aux valeurs par défaut utilisées dans les calculs réglementaires.

Le taux moyen annuel de méthane slip4 observé s’élève à 1,57 % , là où les cadres européens (ETS) et internationaux (OMI) tablent sur des valeurs jusqu’à 3,5 % ! Brittany Ferries a été pionnière de la transition énergétique pour le transport passager. Ses navires au GNL sont au-delà des performances attendues… Mais on la taxerait par principe sur des bases de calcul totalement erronées ? C’est juste inacceptable et j’enjoins tous les armateurs ayant misé sur la propulsion GNL à vérifier leurs propres émissions ! Alors qu’en trois ans, nous avons déjà remboursé nos partenaires historiques, les Régions Bretagne et Normandie, pour leurs prêts Covid ainsi que près de la moitié de notre Prêt Garanti par l’État (PGE), les capacités d’investissement de Brittany Ferries sont aujourd’hui sérieusement affaiblies par cette fiscalité erratique, nationale comme européenne. Sans parler de ce climat politique délétère qui stigmatise nos entreprises.

La décarbonation du maritime commence mal, gros grain en perspective !

Jean-Marc Roué

Président de  Brittany Ferries


NOTES :

  1. Orientations Communautaires sur les aides d’État au secteur maritime 2004/C 13/03
  2. Système d’échange de quotas d’émission. En anglais, Emissions Trading System (ETS)
  3. Directive U.E. 2023/959 du 10 mai 2023
  4. Le méthane slip (ou fuite de méthane) désigne les émissions non brûlées de méthane (CH₄) dans l’atmosphère, lors de la combustion du gaz naturel.
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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