Si la justice a pris son temps –près d’un mois– pour répondre à la question, « la SNCM est-elle en cessation de paiement ? », c’est qu’elle est confrontée à un dossier aussi complexe qu’original.
L’actionnaire majoritaire de la Société nationale Corse Méditerranée, Transdev (66%), a en effet, en pleine conscience, volontairement provoqué le dépôt de bilan de la compagnie en exigeant le remboursement immédiat de créances que la compagnie n’est pas en mesure d’honorer.
Transdev, mais aussi l’Etat, actionnaire à 25%, considèrent le redressement judiciaire comme la seule solution pour « empêcher la disparition pure et simple » de la SNCM, car cela permettrait selon eux de trouver un repreneur et d’annuler les condamnations européennes à rembourser des aides publiques jugées illégales pour plus de 400 millions d’euros.
Lors des audiences successives, le procureur de Marseille Brice Robin, avait d’ailleurs remarqué le caractère « inédit » de la manoeuvre des actionnaires, que les salariés qualifient de « faillite organisée ».
Il n’en a pas moins plaidé pour le redressement judiciaire, au vu des difficultés chroniques de la société (200 millions d’euros de déficit cumulé depuis 2001), estimant aussi que cela pourrait conduire des repreneurs éventuels à se manifester.
Le juge enquêteur, nommé pour étudier la seule question de la cessation de paiement, a également conclu par l’affirmative, considérant qu’il y avait bien cessation de paiement.
Les salariés, eux, ont de nouveau contesté le fait que les créances brandies par Transdev soient juridiquement exigibles et demandé « la suspension de la procédure », mais sont sans illusion sur la décision du tribunal. « Les pressions sur la justice consulaire sont maximales », a déploré le représentant du personnel CFE-CGC Maurice Perrin.
« Aller au redressement judiciaire, c’est glisser vers la liquidation », estime –à l’instar des autres syndicats– Frédéric Alpozzo, représentant de la CGT, le syndicat majoritaire à la SNCM, qui compte 2.000 salariés.
« C’est toujours un risque », avait d’ailleurs déclaré le président du directoire de la compagnie, Olivier Diehl, à l’issue de la première audience.
– « Chemin étroit » –
Les raisons invoquées par Transdev et l’Etat pour le redressement judiciaire, à savoir principalement la possible annulation des quelque 400 millions d’aides que l’Europe demande à la SNCM de rembourser –ce que le secrétaire d’Etat aux Transports Alain Vidalies est allé plaider à Bruxelles mercredi– paraissent fragiles aux syndicats.
Ces derniers estiment que le redressement judiciaire n’affranchira nullement l’entreprise des condamnations de Bruxelles, qui pourrait estimer que la SNCM, même reprise et transformée par un repreneur, restera la même entreprise. Et devra donc assumer les condamnations.
Ils pointent de plus le problème de la délégation de service public (DSP) vers la Corse. Ce contrat qui court jusqu’en 2022, de plus 600 millions d’euros, qui lui a été attribué (ainsi qu’à une autre compagnie, la Méridionale) et constitue une manne essentielle à sa survie, pourrait ne pas être transmissible à un repreneur éventuel.
Dans une étude juridique réalisée en 2013 commandée par Transdev, dont l’AFP a obtenu une copie, ce risque est d’ailleurs clairement formulé: « La transmission de la DSP pourrait constituer un indice fort de l’existence d’une +continuité économique+ », est-il écrit dans le document.
En clair, soit la « nouvelle SNCM » conserve la DSP, mais reste sous le coup des condamnations de Bruxelles. Soit les condamnations sautent… mais la DSP pourrait devoir faire l’objet d’un nouvel appel d’offre, avec toute l’incertitude que cela comporte.
Le redressement judiciaire « ouvrira un chemin certes étroit, mais qui peut permettre de conserver le périmètre le plus large possible », commentait M. Diehl à l’issue de l’audience mardi.
Ces incertitudes juridiques sèment le doute sur les potentiels repreneurs. Ils sont « cinq ou six » intéressés, affirmait la direction il y a quelques semaines. Lors de la dernière réunion en préfecture, elle n’a évoqué qu’une seule marque d’intérêt, ont rapporté les syndicats.
« Il ne faut pas se voiler la face: il n’y a pas d’offres de reprise possibles tant qu’existe la menace de Bruxelles », estime M. Alpozzo.