Embargo russe: avis de tempête sur la pêche en Islande

« Bien sûr que nous sommes inquiets, nous allons perdre de l’argent. Tout le monde est touché, non seulement ceux qui travaillent dans la pêche, mais le village entier », se lamente Astvaldur Sigurdsson, propriétaire de l’épicerie locale.

L’Union européenne a décrété en juillet 2014 des sanctions économiques contre la Russie pour la punir de son implication présumée dans le conflit ukrainien. L’Islande s’y est associée, sans être membre de l’UE.

Moscou, qui a décrété en représailles dès l’été 2014 un embargo sur les exportations alimentaires de l’UE, applique la même sanction à l’Islande depuis août 2015.

C’est un coup dur pour la petite île de l’Atlantique Nord, 20e exportateur mondial de produits de la mer (en 2011, selon la FAO). Elle avait énormément investi pour s’implanter sur le marché soviétique à la faveur du dégel entre les États-Unis, alliés de Reykjavik, et Moscou.

Les exportations de poisson vers la Russie se sont effondrées de moitié environ entre 2014 (118.000 tonnes) et les 11 premiers mois de 2015 (50.000 tonnes), selon l’Office national des statistiques.

En valeur, ces exportations ont dégringolé à 10,3 milliards de couronnes sur la même période, contre près de 24 milliards en 2014. Or la Russie représente 10% des exportations islandaises de poisson, lesquelles à leur tour pèsent 40% des exportations totales de l’Islande. Et on pourrait y ajouter le poisson qui transitait par les ports européens pour arriver sur les étals russes.

« Notre participation symbolique à ces sanctions ne va pas apporter de solution à la crise en Crimée et nul ne peut prévoir combien de temps elles seront en place », s’étrangle l’association des pêcheries islandaises.

Les sanctions causent un préjudice considérable aux exportations de poissons pélagiques (maquereau, capelan, hareng, etc.), apanage d’entreprises aux reins solides.

La Russie absorbait 40% des exportations islandaises de maquereau avant les sanctions. La perte de ce marché fait du tort non seulement à ces entreprises, mais aussi aux collectivités locales, qui voient disparaître des recettes fiscales.

– Aubaine pour les Féroé –

Avec une flotte de sept chalutiers à Neskaupstadur, Sildarvinnslan (SVN) est l’un des poids lourds du secteur.

Son directeur, Gunnthor Ingvason, a prospecté d’autres marchés. Il voit la concurrence des pêcheurs étrangers, en quête eux aussi de nouveaux débouchés, peser sur les cours.

« La part du marché russe dans le chiffre d’affaires de l’entreprise n’a cessé de croître avec l’augmentation des prises de poissons pélagiques pour la consommation humaine » et la dépréciation de la couronne islandaise à la fin des années 2000, constate-t-il.

Maquereaux, cabillauds et harengs trouvent souvent preneur ailleurs, même à vil prix, alors que le vivaneau ou le capelan – apprécié des Russes pour ses oeufs – sont plus difficiles à écouler. La SVN a vu son chiffre d’affaires chuter de 35% pour le maquereau et le hareng, de 50% pour le capelan.

« Les pertes en production de capelan vont toucher les villages et les salariés qui en vivent », prédit Gunnthor Ingvason. Pour son entreprise, cela concerne 80 personnes à terre et 32 en mer, sans compter tous ceux qui, commerçants ou fournisseurs, dépendent de l’activité d’un port de pêche.

Le ministre des Affaires étrangères, Gunnar Bragi Sveinsson, a eu des mots durs pour les pêcheurs, prompts à réclamer à la diplomatie islandaise la plus grande fermeté dès que leurs intérêts sont en jeu.

« Pour l’industrie halieutique, rien n’est plus important que les accords internationaux quand il s’agit de défendre nos eaux territoriales », a-t-il ironisé.

Ces déboires sont une aubaine pour les îles Féroé, province autonome danoise qui, n’appliquant pas les sanctions européennes, a capté une partie de la demande russe.

Ses exportations totales de cabillaud ont ainsi crû de 4% sur un an lors des trois premiers trimestres de 2015, mais surtout les prix ont bondi de près de 16%. « Nous avons profité de la hausse des cours plus que des volumes », confirme un responsable gouvernemental féringien.

Pour Astvaldur Sigurdsson, les autorités islandaises « n’auraient jamais dû s’engager » dans ces sanctions. « Nous n’avions rien à voir avec ce chahut militaire », estime-t-il.

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