A bord du Chant des sirènes, la coquille miraculeuse et l’ombre du Brexit

A bord du Chant des Sirènes (France), 18 oct 2021 (AFP) – Des flots noirs, émergent des centaines de coquilles Saint-Jacques: la moisson de la nuit est aussi bonne que l’époque est mauvaise, le « maudit Brexit » ayant rebattu toutes les cartes pour le capitaine normand du Chant des Sirènes.

Profitant d’un temps doux et de marées favorables, les pêches s’enchaînent pour Pascal Delacour, 52 ans, dont près de quarante à écumer la baie de Granville avec son père, comme matelot, puis patron de pêche à son tour.

Le temps de décharger la précédente cargaison de coquillages, le chalutier vert et blanc, la proue flaquée de deux sirènes, est reparti pour une nuit au large, à quelques milles de l’île anglo-normande de Jersey.

Il est minuit quand les premiers filets sont jetés pour « prendre un peu de sole » et autres habitants des fonds sablonneux comme la raie et la plie. Les poissons sont triés selon l’espèce et la taille – « 24 cm réglementaires pour la sole » -, le pont rincé à grande eau après chaque remontée, suivies d’un petit somme en cabine pour les matelots Sylvain et Johnny.

Le patron carbure au café-cigarette et à la gouaille. Il aime autant aller à la pêche que la raconter, assis sur un fauteuil partagé avec sa chienne Opale qui se tient tranquille en attendant sa ration de Saint-Jacques fraîches.

– « Vivante et crue » –

Pascal Delacour pense qu’il « faut vraiment éduquer le consommateur » qui confond pétoncle et noix de Saint-Jacques ». La Saint-Jacques, « il faut l’acheter vivante, toute habillée dans sa coquille, et la manger crue ».

« Et attention, la coquille de la baie n’a pas de corail rouge », qui se forme au temps de la reproduction: une période où la pêche est interdite.

C’est là le secret des marins de la baie: « On a pris soin de la ressource »: « Cela fait des années qu’on a installé des quotas et des périodes de pêche », d’octobre à mi-mai pour la Saint-Jacques.

« Et on ensemence le long des côtes, avec des bébés coquilles qu’on achète avec le comité (régional des pêches) dans une écloserie du Finistère. Il y a des coins laissés en jachère pour leur laisser le temps de grandir », explique-t-il.

Cette année « le rendement a explosé, la ressource a été multipliée par trois »: « Il y a dix ans, je pêchais moitié moins en y passant quatre fois plus de temps ».

Sur le pont, après trois prises de poissons, il est temps de faire descendre les dragues, ces filets métalliques équipés de dents qui ratissent le fond pour ramasser les coquillages.

Il est 06H30 quand une montagne de coquilles Saint-Jacques se déverse sur le pont dans un grondement joyeux. Des dizaines d’araignées prises dans les mailles sont rejetées à la mer – « pour le crabe, la pêche n’ouvre que dans quelques jours ».

En ce début de saison, la coquille part entre 2 et 2,5 euros le kilo à la criée de Granville, premier port en France pour les coquillages. « On sait que les saisons sont inégales », explique Pascal Delacour qui, selon les mois, rémunère ses matelots entre 1.500 et plus de 4000 euros net.

– « Licences pas garanties » –

« Les Anglais nous envient la Saint-Jacques parce la ressource se raréfie chez eux. Ils ne veulent entendre parler de fermeture biologique sur aucun produit ni de quotas », affirme-t-il, ajustant son cap d’un coup de pouce.

Pascal Delacour, premier marin français à avoir obtenu une licence de Jersey dans le cadre du nouvel accord post-Brexit, regrette le temps de la « mer commune » où les pêcheurs de région géraient entre eux la ressource.

« Les Anglais exagèrent », mais c’est contre les autorités françaises qu’il ne décolère pas. « On nous a assuré que le Brexit ne changerait rien à nos pratiques. Le résultat, c’est que nos licences ne sont pas garanties et, pour ceux qui comme moi ont eu la chance d’en avoir une, on ne sait rien des modalités futures: quelles espèces, pour combien de jours et jusqu’à quand ».

Il est 10H00 et les dernières coquilles sont hissées à bord. Les oiseaux de mer glanent dans le sillage du Chant des Sirènes. « C’est beau, hein! ». Mais « pour moi, le Brexit a relancé les dés. S’il s’avère que je ne peux pas transmettre la licence, je ne prends pas ma retraite. Pas question que mon bateau aille à la casse ».

« C’est un métier qu’on fait par passion », tranche-t-il. A la louche, il évalue sa cargaison à 1,3 tonne. A la criée de Granville, la pesée du matin dira 1,290 tonne.

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