« Je préfère tester ce filet maintenant, dire ce qui ne va pas, plutôt qu’on nous impose un filet bio du jour au lendemain avec lequel on se retrouvera à 40% de chiffre en moins, autant collaborer », argue le pêcheur Jérémy Devogel, qui teste ce prototype en conditions réelles sur son fileyeur, Nereïdes 2.
Pour capturer des soles le long de la côte entre Boulogne-sur-Mer et le Tréport, il embarque chaque jour 2.700 mètres de ces filets, composés de matière végétale et fossile, soit environ 30% de l’ensemble de son matériel de pêche.
Les prototypes sont conçus en Bretagne dans l’entreprise Seabird, tissés au Portugal, et assemblés à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Le projet, porté par le Parc naturel marin des estuaires picards et de la mer d’Opale, a bénéficié d’un financement de 760.000 euros provenant d’aides publiques et de France filière pêche.
Les avantages de ces nouveaux filets? Ils se déchirent « au bout d’un an et demi » et « la dégradation complète est atteinte au bout de cinq ans », précise Marie-Christine Gruselle, chargée de mission « pêche professionnelle et récréative » au Parc naturel.
De quoi rendre « négligeables les possibilités de +pêche fantôme+ », ajoute-t-elle, en référence aux filets nylon perdus qui continuent de piéger les poissons.
– Des mailles encore trop lâches –
Une fois perdus en mer, les filets en plastique mettent eux « plusieurs centaines d’années à se dégrader » avec « des conséquences pour la ressource et le travail économique du pêcheur », relève Frédéric Fasquel, directeur délégué du Parc naturel.
Leur durée d’utilisation est aussi assez courte, « de quatre à cinq mois », souligne Vincent Mathel, ingénieur chez Seabird. « On arrive vite à d’importants volumes de déchets difficiles à recycler et donc énormément enfouis ».
Mais si l’intention est bonne, côté rendement, le filet biodégradable ne soutient pas encore la comparaison.
En 2020, M. Delogel avait pêché avec ces filets, « en moyenne, 35% de moins en nombre et 26% de moins en poids » qu’avec le matériel classique, détaille Solène Peuget, qui embarque régulièrement à bord du Nereïdes 2 pour suivre l’expérience pour le Parc naturel.
« Le design du filet a été retravaillé pour se rapprocher davantage d’un filet conventionnel concernant notamment la taille et la forme des mailles », explique Vincent Mathel. Et pour mieux tromper le poisson, « une partie du filet a aussi été colorée en vert – comme les filets classiques – alors qu’il était entièrement blanc l’année dernière ».
– Encore des années de réglage –
Pas encore suffisant pour M. Devogel: « ils ont rétréci le maillage mais pas encore assez, les noeuds ne sont pas assez serrés, la maille se détend et la texture du filet n’est pas encore assez souple », détaille le pêcheur.
« Ils ont réglé quelques problèmes techniques mais ils en ont créé d’autres, ça reste un prototype, il faudra quelques années pour le régler », ajoute-t-il, sans toutefois se décourager puisqu’il devrait continuer en 2022 à se prêter aux tests.
Pour les professionnels, « le souci est d’avoir des engins de pêche qui pêchent, qui certes préservent le milieu marin, mais aussi leur activité », abonde Thierry Missonnier, directeur de l’organisation de producteurs de pêche From Nord, partenaire du projet.
L’objectif « n’est pas d’avoir un filet plus performant mais avec des performances similaires aux filets actuels, pour concilier pêche durable et continuité de l’activité économique », ajoute M. Missonnier. « Préserver le milieu marin, les producteurs y sont sensibles, ils en sont directement dépendants. »
En parallèle de cette expérimentation en mer, ont lieu des tests de recyclage – deux possibilités sont à l’étude, le compostage et méthanisation – ainsi qu’une étude de mise sur le marché. Un autre modèle de filet biodégradable doit aussi être testé l’hiver prochain à Fécamp.