Après 21 ans d’enquête et de multiples rebondissements judiciaires, les avocats des victimes ont annoncé à l’AFP un nouveau pourvoi en cassation contre la mise hors de cause de neuf responsables publics.
Industriels, scientifiques ou haut fonctionnaires, ils avaient été mis en examen entre fin 2011 et début 2012 pour homicides et blessures involontaires dans le cadre de l’enquête des juges d’instruction du pôle de santé publique, qui porte notamment sur la recherche d’éventuelles responsabilités nationales dans la gestion du dossier de l’amiante.
Pour motiver l’annulation des mises en examen, la cour d’appel a développé trois arguments, selon une source proche du dossier: les mis en examen ne disposaient pas véritablement d’un pouvoir décisionnaire ; ils n’ont pas commis de fautes car, à l’époque, l’usage contrôlé de l’amiante était admis dans l’ensemble des Etats européens ; enfin, ils ne pouvaient avoir une connaissance exacte des dangers de la fibre cancérogène, car les avancées scientifiques étaient en constante évolution.
« Il est tout simplement scandaleux que cette affaire se termine par la mise hors de cause de tous ceux qui étaient chargés du système de veille sanitaire », a réagi Michel Ledoux, avocat de plusieurs centaines de victimes.
« Cette nouvelle décision confirme malheureusement l’apathie des juges à vouloir juger cette catastrophe sanitaire sans précédent », a relevé de son côté François Desriaux, vice-président de l’Andeva, l’association nationale des victimes de l’amiante.
– Non-lieu général ? –
Les neuf mis en examen avaient été impliqués entre 1982 et 1995 dans le Comité permanent amiante (CPA, dissous dans les années 90), accusé par les parties civiles d’être le lobby des industriels et le promoteur de « l’usage contrôlé » de la fibre cancérogène pour en retarder au maximum l’interdiction, intervenue en France en janvier 1997. Le rôle de cette structure avait été épinglé dans un rapport sénatorial.
Ils avaient obtenu l’annulation de leur mise en examen par la cour d’appel de Paris le 4 juillet 2014, une décision invalidée le 14 avril 2015 par la Cour de cassation, qui avait renvoyé les dossiers devant la chambre de l’instruction.
Aux yeux de leur défense, aucune faute ne peut leur être imputée. Elle s’appuie notamment sur une décision de 2015 de la Cour de cassation dans le dossier de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados).
Estimant qu’aucune négligence ne pouvait leur être reprochée, la haute juridiction avait définitivement mis hors de cause huit personnes, dont l’ex-ministre Martine Aubry, un temps poursuivie pour son rôle entre 1984 et 1987 au ministère du Travail en tant que directrice des relations du travail.
Après plus de deux décennies d’investigations, la vingtaine de dossiers de l’amiante, actuellement instruits à Paris, risquent d’aboutir à des non-lieux.
En juin, les juges d’instruction ont estimé qu’il était impossible de déterminer avec certitude la date d’intoxication d’un malade exposé à la fibre cancérogène, un flou qui ne leur permettait pas de demander un renvoi devant les juridictions pénales. Suivant cet avis, le parquet de Paris a demandé la fin des investigations.
« Les malades ont été dédommagés au civil, mais le scandale de l’amiante ne peut être traité par la justice comme une catastrophe naturelle: il y a clairement eu des fautes et des responsabilités pénales », a relevé François Desriaux.
« Au scandale sanitaire s’ajoute aujourd’hui un scandale judiciaire », a-t-il ajouté.
Selon les autorités, qui imputent à l’amiante 10 à 20% des cancers du poumon, l’exposition à la fibre pourrait provoquer jusqu’à 100.000 décès d’ici à 2025. D’après l’Andeva, 3.000 personnes meurent chaque année.