« Avant, c’était plein de poisson », soupire Rodrigo Gallardo, pêcheur de 46 ans. Avant de prendre la mer, il fait un signe de croix. Le vent est fort et la mer agitée.
A sept milles nautiques (13 km) des côtes, au large de la ville de Valparaiso, il déploie sa palangre, une longue ligne garnie de 2.000 sardines faisant office d’appâts. Lorsqu’il la remonte, un seul merlu s’agite au bout.
Le pêcheur accuse des années de réglementation favorisant la pêche industrielle adepte du chalutage de fond, une pratique accusée par les ONG d’épuiser les océans et de freiner la reconstitution de l’espèce.
Le merlu du Pacifique Sud (Merluccius gayi) est l’un des piliers de la pêche artisanale au Chili. Quelque 4.000 petits pêcheurs en dépendent directement.
Mais sa population a décliné de 70% en vingt ans, selon l’Institut de développement de la pêche Ifop.
Le Chili, 10e puissance mondiale de la pêche avec ses 6.000 km de côtes, a pourtant renforcé dès 2013 sa législation, en durcissant notamment son système de quotas.
Les limites de capture ont été réduites, parfois drastiquement, passant dans le cas du merlu de 121.000 tonnes en 2001 à 35.000 aujourd’hui.
Mais la situation continue de se dégrader pour l’espèce: la biomasse a reculé de 17% entre 2023 et 2024, selon l’Ifop, et de nouvelles réductions de quotas pourraient être annoncées.
Face à cette perspective, l’inquiétude monte également du côté des industriels.
Marcel Moenne, directeur de PacificBlu, prévient qu’une réduction supplémentaire des quotas ne serait « pas économiquement viable ». Elle mettrait en péril les 3.200 emplois de son entreprise, qui exploite plus de la moitié des volumes alloués à la pêche industrielle.
Mercredi, le Parlement a relevé de 40% à 45% la part des quotas allouée à la pêche artisanale, réduisant parallèlement celle de la pêche industrielle, de 60% à 55%.
Largement consommée au Chili en raison de son prix abordable, l’espèce est officiellement considérée comme « surpêchée » depuis 2012. Dès 2006, une période de reproduction protégée a été instaurée chaque mois de septembre.
– Plusieurs facteurs –
Malgré l’ensemble des dispositifs en place, le merlu échappe au modèle chilien de pêche durable, là où d’autres espèces, comme la sardine australe, le chinchard ou la seiche, ont vu se reconstituer leur biomasse (poids total des poissons d’une espèce dans une zone donnée).
Les experts invoquent une combinaison de facteurs pour expliquer son déclin persistant: changement climatique, pêche illégale, quotas relevés trop rapidement ou cannibalisme au sein de l’espèce.
« Il n’y a pas un seul facteur en cause. C’est une combinaison d’éléments biologiques, humains et environnementaux », note Patricio Galvez, expert de l’espèce à l’Ifop. « Les gros individus peuvent se nourrir des juvéniles, ce qui complique encore la reconstitution du stock », ajoute-t-il.
Rodrigo Catalan, directeur de conservation pour le Chili au WWF, pointe la pêche illégale et la surpêche, qui « ont rendu ce poisson de plus en plus rare ».
En 2023, les autorités ont saisi 58 tonnes de merlu pêché illégalement. Sa vente fraîche, très répandue sur les marchés et foires, « donne un avantage à la pêche illégale » de l’espèce et rend difficiles les contrôles, souligne le service national des pêches.
Sur le plan environnemental, « le Chili subit déjà les effets visibles du changement climatique. Chez le merlu, des changements ont été observés dans la distribution (migration vers le sud) et la reproduction », note Alicia Gallardo, chercheuse à l’Université du Chili.
Le Chili continue pourtant d’avancer sur la voie de la durabilité: plus de 40% de ses eaux sont désormais couvertes par des aires marines protégées, des zones où la pêche est censée être réglementée.
Le pays a aussi signé le traité des Nations unies pour la protection de la haute mer, un accord international au centre de la Conférence des Nations unies sur les océans qui se tiendra en France, à Nice, de lundi à vendredi.
Le Chili espère notamment y obtenir le soutien nécessaire pour faire de Valparaiso, sa principale ville portuaire, le futur siège de ce traité, un signal fort des ambitions du pays en matière de protection des océans et de la biodiversité.