« Nous utilisons au Chili 500 fois plus d’antibiotiques qu’en Norvège », premier producteur mondial, s’alarme Liesbeth van der Meer, directrice par interim du groupe écologiste Oceana-Chili.
Il y a un mois, cette organisation a obtenu une victoire importante devant la justice, qui a forcé à rendre publics la quantité et le type d’antibiotiques administrés aux saumons chiliens.
Le résultat est sans appel: en 2015, 557,2 tonnes de médicaments ont été injectés dans la production totale, de 846.163 tonnes, soit un taux d’antibiotiques de 0,066%, selon le Service national de la pêche et de l’aquaculture.
En 2010, le taux était deux fois moindre, à 0,031%, soit 143,2 tonnes de traitement sur une population de 466.857 tonnes.
L’objectif: lutter contre la bactérie Piscirickettsia salmonis, dangereuse pour les saumons chiliens, qui sont élevés dans les eaux du sud du pays où ils ont été introduits artificiellement il y a des décennies.
Mais comment fait donc la Norvège? « Tout simplement, elle a su contrôler ses maladies », affirme Liesbeth van der Meer.
L’industrie chilienne se défend, assurant avoir besoin de cette quantité de médicaments pour repousser les pathologies menaçant le saumon, le tout sous strict contrôle médical.
« L’antibiotique utilisé doit être prescrit par un vétérinaire et on ne peut pas l’administrer de manière préventive, uniquement quand la maladie apparaît », souligne Felipe Sandoval, président de Salmon Chile, qui représente la majorité des producteurs chiliens.
« Les progrès technologiques vont nous aider à minimiser l’usage d’antibiotiques, c’est juste une question de temps », assure-t-il.
– Résistance bactérienne –
Pêcheurs et écologistes sont formels: il n’y a aucun risque pour la consommation humaine, puisque toute trace de médicament disparaît ensuite.
Quand il est vendu, « le saumon ne contient pas d’antibiotiques », explique la directrice d’Oceana, qui prévient toutefois que le danger est ailleurs, quand le traitement se diffuse dans l’environnement.
Les résidus d’antibiotiques peuvent, à long terme, contaminer la communauté bactérienne autour des élevages de saumons, indique l’épidémiologiste Fernando Mardones, chercheur à l’université Andrés Bello.
Alors les bactéries « peuvent devenir résistantes à certains antibiotiques au bout d’un certain temps, jusqu’à ce qu’apparaisse une bactérie résistante à tout, pouvant affecter les poissons et même parvenir jusqu’à l’être humain », s’inquiète-t-il.
Jusqu’à présent, aucun cas de résistance bactérienne n’a été prouvé dans l’aquaculture, mais ce phénomène est déjà apparu dans d’autres industries, créant une menace pour la santé publique.
L’industrie chilienne du saumon devrait « voir ce qui ne fonctionne pas dans la production et quelles sont les mesures alternatives pour diminuer l’usage d’antibiotiques », estime le chercheur, préconisant par exemple d’augmenter l’apport d’antioxydants dans le régime des poissons.
Avec un chiffre d’affaires annuel de 3,5 milliards de dollars, l’élevage de saumons est l’une des principales sources de travail dans de nombreuses régions du sud du pays, générant plus de 70.000 emplois directs et indirects.
Ses premiers clients sont les Etats-Unis, le Japon, la Russie et le Brésil.
Derrière son usage intensif d’antibiotiques, il y a au Chili le traumatisme de plusieurs crises sanitaires: en 2007, le virus de l’anémie infectieuse du saumon (ISA) avait dévasté une partie de la production.
Début 2016, la prolifération d’algues nocives a provoqué la mort par asphyxie d’environ 100.000 tonnes de poisson, 12% du total.
Les saumons contaminés ont ensuite été déversés en pleine mer, entraînant une vaste pollution de la zone selon les pêcheurs chiliens, alors confrontés à une « marée rouge » d’algues nocives, responsables de la mort de milliers de saumons, de sardines, de baleines et de machas, un coquillage typique de la région.