Aux assises de Lorient, le difficile dialogue entre chercheurs et pêcheurs

Lorient, 21 juin 2024 (AFP) – Les pêches hauturière et côtière sont-elles complémentaires ? Oui, affirment chercheurs et pêcheurs, qui ne sont par ailleurs d’accord sur presque rien, lors d’un débat piquant aux assises de la pêche à Lorient (Morbihan).

Derrière cette simple interrogation se cache une forêt de questions polémiques, abondamment commentées jeudi et vendredi à Lorient. La première est celle de la définition des types de pêche, que les professionnels se refusent à opposer.

Pour Jérôme Jourdain, de l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF), « il n’existe pas de définition de la pêche industrielle », mais une « pêche commerciale » avec différents types d’engins, de différentes tailles, travaillant sur différentes zones…, tous « complémentaires » pour fournir les criées des ports français.

Didier Gascuel, professeur en écologie marine à l’Institut Agro de Rennes, rappelle la définition de l’agence onusienne pour l’alimentation FAO, qui définit « la pêche artisanale » par la taille des bateaux – moins de 12 mètres – et estime qu' »on pourrait aller jusqu’à 24 mètres pour la France ».

A contrario, la pêche serait « industrielle » dès lors que « le propriétaire du bateau n’est pas le patron à bord », propose-t-il, déclenchant des grognements dans la salle. « A ce compte-là, la moitié des pêcheurs du coin sont des industriels… », souffle un marin.

Mais, ajoute le chercheur, l’important, ce n’est pas la taille mais « l’engin de pêche utilisé ».

Dès lors le débat dérive sur l’impact de la pêche au chalut, la technique la plus répandue et qui consiste, pour le chalutage de fond, à trainer de gigantesques filets en raclant le fond des océans pour remonter soles, turbots, langoustines ou encornets.

A la même table ronde, Isabelle Thomas, secrétaire générale de l’interprofession de la pêche bretonne Breizhmer, porteuse d’un label pour garantir l’origine bretonne des poissons, bondit sur son siège.

– « Complexe durabilité » –

Elle s’attaque aux conclusions du chercheur, co-auteur d’une étude sur l’impact environnemental et économique des flottilles françaises de pêches de l’Atlantique Nord-Est.

Moins de chalut, c’est moins de volume dans les criées, prévient-elle. « Si on réduit encore les apports, ce qu’il va se passer, c’est l’augmentation des importations, et quand le poisson viendra de Chine, on n’aura plus la main sur rien », tempête-t-elle.

« Mais les pêcheries se cassent déjà la figure! », lui rétorque Didier Gascuel. Après le Brexit, « ce sont surtout des chalutiers qui sont partis à la casse », rappelle-t-il, évoquant une nécessaire « déchalutisation », pour inventer une pêche plus durable « à la ligne, au casier, au filet ».

Quelques huées s’élèvent de la salle, mais aussi deux ou trois applaudissements.

« La durabilité, c’est complexe », tente le chercheur. Le chalut de fond a une « très forte empreinte environnementale », en contribuant fortement à la surexploitation des ressources et à l’abrasion des fonds marins, dit-il.

Et il a aussi, selon lui, un mauvais bilan socio-économique: « On a tendance à penser que les gros navires vont être plus efficaces et avoir de meilleures performances socio-économiques et ce n’est pas le cas. Pour 1.000 tonnes pêchées au chalut de fond, vous créez 26 emplois en petite pêche et 10 en pêche industrielle », affirme-t-il.

Un calcul « malhonnête » pour Isabelle Thomas, car il ne prend pas en compte les emplois créés en aval, chez les dockers, les mareyeurs en criée, jusqu’aux poissonneries.

« C’est quand même le volume qui fait la filière », martèle-t-elle, soulignant l’importance d’encourager les pêcheurs à labelliser leur production, tout en répondant à la demande de « souveraineté alimentaire » de la France.

Didier Gascuel plaide pour un changement profond, qui nécessite de revoir les méthodes de pêche, donc les navires, oeuvrant en même temps pour la décarbonation et une meilleure protection de la ressource.

La filière, malmenée par les crises (Brexit, carburant, fermetures de zones de pêche…) peine à voir au-delà d’un horizon proche. La visibilité est faible dans un contexte « d’instabilité politique », a relevé vendredi le président du Comité national des pêches Olivier le Nézet.

Si les professionnels sont prêts à faire plus d’efforts pour préserver une ressource dont ils dépendent, ils voudraient pour commencer voir levés de nombreux obstacles administratifs et européens au renouvellement de la flotte, a-t-il réaffirmé.

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