Avec un sous-marin en moins, la marine française condamnée à des choix difficiles

Le feu qui s’est déclaré vendredi sur le Perle, en rénovation à Toulon, a dévasté l’avant du bâtiment. “Chacun a son idée mais aujourd’hui on ne sait pas” quelle est l’origine du sinistre, a indiqué une source proche du dossier.

Des enquêtes judiciaire et techniques ont été lancées. Des semaines de travail seront nécessaires pour savoir si la “coque épaisse” du bâtiment, qui résiste à la pression des profondeurs, a été touchée. Si oui, le sous-marin pourrait finir à la casse.

Samedi, la ministre des Armées Florence Parly s’était félicitée de ce qu'”aucun combustible nucléaire, aucune arme, ni munition n’était à bord”, décrivant un bâtiment “quasi-vide, complètement mis à nu”.

Un tableau noirci par plusieurs interlocuteurs. “Il y a des kilomètres de câbles à remplacer, c’est un travail pharaonique”, constatait une source militaire. “C’est dramatique”.

A l’évidence, l’incident aura des conséquences opérationnelles. Le SNA est une arme multifonctions, qui peut s’approcher des côtes et ramener du renseignement de grande qualité. Il contribue à la dissuasion nucléaire en escortant les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) mais aussi le porte-avions Charles de Gaulle. Et il peut se projeter sur tous les théâtres maritimes alors que la libre circulation dans les eaux territoriales est fragilisée aux quatre coins du globe.

Or, la France, qui dispose officiellement de six SNA, n’en avait déjà plus que de 5 depuis l’été 2019. La faute au désarmement de l’un d’entre eux, le Saphir, lié au retard pris dans le programme de remplacement par la nouvelle génération, la classe Barracuda.

Un autre SNA était déjà en entretien. La France ne dispose donc plus que de trois bâtiments opérationnels. Un représentant de Naval Group, le maître d’oeuvre industriel, a indiqué à l’AFP que la direction était consciente de “l’engagement à respecter les délais” de livraison des Barracuda.

– “L’édredon dans la valise” –

En attendant, l’impact sur 2020 est nul, a expliqué le capitaine de vaisseau Eric Lavault, porte-parole de la Marine. Mais en 2021, l’incident créé un “trou de capacité opérationnel sur un parc de sous-marin déjà contraint”.

Car si la dissuasion nucléaire aura toujours la priorité de l’état-major, les opérations conventionnelles vont souffrir. Le SNA est potentiellement mobilisable dans l’Océan indien, au large de la Libye, de la Syrie et sur le plateau continental atlantique. “Tout le travail de planification va débuter pour faire rentrer l’édredon dans la valise”, résume Eric Lavault.

Corentin Brustlein, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), souligne pour sa part les contraintes budgétaires. “Quand on a une posture dimensionnée au plus juste depuis des décennies et qu’il se produit un accident majeur comme celui là, on n’est résilient que sur certaines missions”, explique-t-il à l’AFP.

Il décrit un paradoxe entre la nécessité de la modernisation de l’outil militaire et le coût opérationnel de la perte d’une arme sophistiquée.

“On a des plateformes plus performantes à l’unité, on peut leur faire faire plus de choses” mais le parc est limité en nombre, résume-t-il. “Cela ne servirait à rien d’avoir 12 sous-marins des années 60 dans un environnement de menaces des années 2020. Il n’y a pas de réponse simple à ce dilemme là, à part une manne financière monumentale”.

Un argument lourd au moment de discuter de l’exécution de la loi de programmation militaire 2019-2025, dont l’actualisation est prévue l’an prochain sur fond de crise post-covid.

L’armée espère ne pas revivre une période de vaches maigres. Devant la commission Défense de l’Assemblée nationale en avril, le chef d’état-major des armées avait évoqué le contexte international post-épidémie, le “comportement violent de certains acteurs régionaux, un probable repli américain précipité et l’activisme chinois”.

“Nos armées doivent être taillées non pas pour ce qu’elles font au quotidien, mais pour ce qu’elles peuvent être amenées à accomplir dans des circonstances exceptionnelles”, avait martelé le général François Lecointre.

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