– Deux pétroliers échouent –
Les deux pétroliers échoués mi-décembre au cours d’une tempête contenaient 9.200 tonnes de mazout, dont au moins 26%, selon la dernière estimation des autorités russes, pourraient s’être écoulés dans la mer. Depuis le début de cette marée noire, quelque 200.000 tonnes de sols pourraient avoir été affectés, selon les autorités.
L’organisation régionale russe chargée du nettoyage a publié des images de bénévoles en train de retirer du sable pollué à l’aide de pelles.
« Les autorités locales ont fourni certains équipements », confirme Iryna Babanina, de l’ONG britannique Conflict and Environment Observatory (CEOBS), spécialiste des conséquences de la guerre sur l’environnement.
Mais les opérations directement sur l’eau pour empêcher les nappes de pétrole de progresser sont « impossibles » en raison d’une « pénurie d’équipements », souligne-t-elle.
Or ce naufrage est « le premier accident au monde impliquant du fioul +lourd+ de qualité M100 », a déclaré le service russe chargé des sauvetages en mer. Un type de fioul qui « ne flotte pas à la surface » et pour lequel « il n’existe aucune technologie éprouvée dans le monde pour l’éliminer dans l’eau ». « C’est pourquoi la principale méthode est la collecte sur le littoral », affirme cette même source.
– Coopération empêchée par la guerre –
La Mer Noire est protégée par la Convention de Bucarest de 1992 qui prévoit une « coopération en matière de lutte contre la pollution par les hydrocarbures », explique Mme Babanina.
En 2007, l’Ukraine et la Russie avaient ainsi coopéré pour endiguer une marée noire similaire dans la même zone.
Aujourd’hui, « le déploiement de navires spéciaux ou d’avions est rendu impossible » par la guerre, affirme Mme Babanina, pour qui « l’échange d’informations » entre l’Ukraine et la Russie « est également problématique ».
« Seules les images satellites peuvent fournir un aperçu plus ou moins fiable », ajoute la spécialiste.
Les analyses d’images satellitaires par Roscosmos, agence chargée du programme spatial civil russe, et par le ministère canadien de l’Environnement, consultées par l’AFP, montrent de possibles étendues de pétrole dans le détroit de Kertch entre le 18 et le 23 décembre, et près d’Anapa, station balnéaire du sud-ouest de la Russie, le 19 décembre.
Une image plus récente, publiée et analysée au 31 décembre, fait état d’une possible étendue de pétrole à 3 kilomètres au sud du Cap Meganom, en Crimée annexée.
– « Catastrophe écologique » –
Le président russe Vladimir Poutine a reconnu fin décembre qu’il s’agissait d’une « catastrophe écologique ».
D’autres catastrophes pétrolières ont conduit à des écoulements bien plus importants, à l’instar des 64.000 tonnes de mazout du pétrolier « Prestige » déversées en 2002 au large de l’Espagne, mais les caractéristiques géographiques du détroit de Kertch rendent la situation singulière.
La proximité avec la mer d’Azov, de l’autre côté du détroit, est un motif d’inquiétude.
Cette mer « très peu profonde » est plus propice aux « changements de température » avec du « gel en hiver et un réchauffement rapide au printemps ». La situation nécessite donc « une surveillance prolongée », insiste Iryna Babanina.
En 2007, les 2.000 tonnes de mazout répandues dans le détroit de Kertch avaient entraîné la mort de plusieurs dizaines de milliers d’oiseaux et de poissons, selon les autorités.
– Risque accru d’accidents pétroliers ? –
« Les frappes ukrainiennes sur la logistique pétrolière russe peuvent avoir poussé les Russes à utiliser des navires obsolètes », avance Mme Babanina.
« La Russie a utilisé des pétroliers assez anciens de la série +Volgoneft+, généralement utilisés comme navires fluviaux et maritimes proches du rivage, rééquipés pour naviguer en mer sur de plus grandes distances », explique-t-elle.
Les deux pétroliers échoués mi-décembre avaient ainsi été construits il y a plus de 50 ans.
Par ailleurs, « l’utilisation des oléoducs traditionnels diminue depuis 2022 », et « le transport officiel de pétrole par les pétroliers depuis la Russie est limité par des sanctions » internationales visant Moscou, rappelle la spécialiste.
Si les deux navires échoués mi-décembre étaient bien immatriculés en Russie, ces différents facteurs ont aussi favorisé la naissance d’une « flotte fantôme de navires immatriculés à l’étranger ». Leur sécurité est gérée de manière floue, ce qui constitue une « bombe à retardement pour l’environnement », insiste Iryna Babanina.