Dans la baie de Gibraltar, les pêcheurs espagnols craignent « la ruine »

Patron du « Divina Providencia », un vieux bateau de pêche de huit mètres battant pavillon espagnol, Francisco Gomez, âgé de 51 ans, pêchait depuis des années dans une zone où Gibraltar a décidé le 24 juillet de construire un récif artificiel en béton.

Le gouvernement de l’enclave britannique affirme que le récif permettra aux bancs de poissons de se régénérer mais les pêcheurs d’Andalousie, région d’Espagne durement frappée par la crise économique, rétorquent qu’on les prive ainsi de l’un de leurs meilleurs viviers.

« Là-bas, on peut pêcher entre 30 et 60 kilos par jour de coquillages qu’on nous paye neuf euros le kilo tandis qu’ici, ceux qu’on attrape ont les coquilles plus fines et se vendent à deux euros le kilo. Et en plus on en trouve moins », explique Francisco Gomez.

« On est arrivés ici il y a six heures, à 5H00 du matin, et on a remonté 40 kilos », se désole-t-il pendant que deux autres pêcheurs, Juan et Salvi, vident les chaluts avant de déplacer un peu leur bateau, toujours très près de la côte et de les relancer à la mer.

« Si on faisait la même chose là-bas », explique Francisco Gomez en désignant la zone du récif, à moins de 1.500 mètres, « les filets s’accrocheraient aux blocs et on casserait le bateau en deux ».

Gibraltar, qui n’a pas de flotte de pêche commerciale, affirme que les navires espagnols pratiquent une pêche intensive qui épuise les réserves. L’enclave voudrait leur imposer une loi de protection de l’environnement que l’Espagne rejette, considérant que les eaux de la zone sont sous sa souveraineté.

« Je pense que nous les pêcheurs en savons plus sur l’écologie que les politiques », lance Francisco Gomez, qui explique avoir été accusé en mai par les autorités de Gibraltar « d’être entré dans les eaux britanniques, de pêche illégale, de navigation imprudente et d’outrage aux autorités ».

« Pour respecter l’environnement », poursuit-il, Gibraltar « devrait commencer par retirer les stations-essences flottantes », autre point de discorde entre le rocher et Madrid.

« Avec tout ça, le gouvernement de Gibraltar nous pousse à la ruine », se désole Juan Morente dans le port de pêche de la Línea de la Concepción, ville espagnole à la frontière avec le territoire britannique.

Assis sur un tabouret planté au milieu des filets, Juan Morente arrache adroitement les têtes de centaines de petits poissons avant de les jeter à la mer, sous le regard avide des mouettes.

A 74 ans, l’ancien pêcheur laisse désormais ses fils partir en mer. Ils ont décidé de jeter leurs filets loin des eaux que se disputent l’Espagne et Gibraltar.

« On y va lorsqu’il fait trop mauvais dans les autres zones. On peut alors se retrouver jusqu’à 40 navires sur place », dit l’un de ses fils, Juan, âgé de 43 ans et qui pêche depuis son adolescence.

« Ici, quand tu finis l’école, soit tu pars à l’université soit tu prends la mer », dit-il.

La Línea de la Concepción est particulièrement frappée par le chômage, qui atteint jusqu’à 35,8% de la population active en Andalousie, région agricole du sud de l’Espagne. Cette difficile situation économique explique que certains refusent de renoncer à pêcher dans les eaux proches du rocher.

Avec un air de défi, Elias Marquez, âgé de 56 ans, maintient son bateau à courte distance du récif artificiel.

« Pour l’instant je reste ici parce que la pêche est bonne mais quand il n’y aura plus rien, je me rapprocherai encore », lance-t-il. « Ca fait 43 ans que je pêche ici et je n’ai peur ni des blocs en béton, ni de la police de Gibraltar. »

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