Ces chercheurs ont réussi à obtenir des juvéniles (des individus n’ayant pas encore leur taille adulte, NDLR) de cette espèce vulnérable, inscrite sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), ouvrant la voie à une reproduction à grande échelle, a indiqué à l’AFP Antoine Aiello, le directeur de Stella Mare (Sustainable TEchnologies for LittoraL Aquaculture and MArine REsearch), une plateforme située à Biguglia et dépendant de l’Université de Corse et du CNRS.
« L’obtention d’un juvénile, quelle que soit l’espèce, c’est vraiment le verrou technologique à lever pour pouvoir envisager une reproduction plus massive et obtenir une quantité de juvéniles qui permette d’envisager d’autres possibles, en l’occurrence la restauration écologique », a expliqué M. Aiello, qui a remporté la médaille de l’innovation du CNRS en 2021.
M. Aiello et son équipe envisagent cette restauration écologiques « dans 3 à 5 ans », tout en comptant « tout faire pour l’avoir l’année prochaine ». « Les connaissances scientifiques sont limitées sur cette espèce, il y a tout à faire, des années de travaux scientifiques à engager », a-t-il fait valoir.
Deux autres équipes dans le monde sont parvenues à obtenir des juvéniles mais avec des taux de survie beaucoup plus faible.
– « Un rêve éveillé » –
En moins de trois mois, au début de l’année 2021, la première expérimentation larvaire à Stella Mare a permis d’obtenir « six juvéniles, 83 jours après l’éclosion des oeufs » avec « un taux de survie encourageant de 50% au dernier stade larvaire, soit 43 jours après l’éclosion », ont détaillé les scientifiques de Stella Mare qui travaillent depuis 10 ans à la maîtrise de reproduction d’espèces vulnérables comme l’huître plate, le homard européen, l’oursin violet, le denti ou le corb.
Pour les oursins violets, dont le programme d’étude a débuté en 2011, la restauration écologique a par exemple déjà débuté en Corse avec l’implantation sur « plus de 300 mètres de linéaires cotiers dans le golfe de Saint-Florent » (Haute-Corse) de dizaines de milliers d’individus, a précisé à l’AFP M. Aiello.
Pour la langouste rouge, cette « avancée scientifique majeure » doit permettre de sauver l’espèce que l’on trouve sur la côte atlantique et en Méditerranée et dont les captures recensées dans l’Union européenne ont connu « un déclin continu » de « plus de 90% dans certaines zones » depuis les années 1950.
L’idée n’est pas d’aller vers l’élevage en aquaculture de langoustes mais de « retourner vers le milieu naturel et faire en sorte que les pêcheurs puissent continuer à pêcher de la langouste sauvage », actuellement vendue entre 50 et 100 euros/kg, a précisé M. Aiello, dont la plateforme travaille avec les pêcheurs professionnels.
Sur la façade atlantique française, 1.000 tonnes étaient prélevées chaque année dans les années 1950 contre 25 tonnes en 2010, a-t-il été détaillé lors de la conférence de presse.
En Corse, l’une des deux des plus grosses pêcheries de langoustes d’Europe avec la Sardaigne, où 300 tonnes étaient pêchées chaque année dans les années 1950 contre 60 tonnes en 2020, la langouste rouge génère un chiffre d’affaires annuel de plus de 4 millions d’euros et représente à elle seule jusqu’à 70 % des revenus de la pêche professionnelle insulaire, a rappelé M. Aiello, soulignant que « les enjeux sont écologiques, économiques et patrimoniaux pour la Corse et au-delà ».
« Cette découverte est tout à fait illustrative de ce que le CNRS souhaite faire, c’est-à-dire une recherche fondamentale au meilleur niveau international (…) mais une recherche qui sait aussi s’intéresser à la société, qui a à coeur d’aider la société à se développer », a salué Antoine Petit, PDG du CNRS.
Un enthousiasme partagé par Gérard Comiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins de France: « Je fais un rêve éveillé les yeux ouverts », s’est réjoui ce dernier.