« Nous fermerons le chapitre le plus long et le plus délicat de notre histoire diplomatique », a résumé après six ans de procédure le président péruvien Ollanta Humala, assurant que son pays respecterait la décision de la CIJ de La Haye, la plus haute instance judiciaire des Nations unies.
Le président chilien conservateur Sebastian Piñera, qui passera les commandes à la socialiste Michelle Bachelet le 11 mars prochain, a lui aussi garanti qu’il appliquerait la décision de La Haye, « en accord avec le Pérou ».
Le Pérou avait saisi la CIJ en janvier 2008, réclamant la souveraineté sur une portion de l’océan Pacifique de 38.000 kilomètres carrés de mer poissonneuse sous le contrôle du Chili ainsi que sur une portion de 27.000 km2 considérée par Santiago comme de la haute mer.
Quel que soit l’arrêt de la Cour, il devrait permettre de « fermer un chapitre de l’histoire des deux pays », explique l’historien péruvien Nelson Manrique. « Il faut comprendre cette décision dans le cadre de la guerre du Pacifique (1879-1883) et des blessures qu’elle a infligées », dit-il à l’AFP.
Le Chili – qui n’a accepté qu’à contrecoeur de se rendre à La Haye – était sorti vainqueur de ce conflit emblématique qui a redessiné, à leur détriment, les contours du Pérou et de la Bolivie.
Le Pérou perdit 25% de son territoire et la Bolivie son accès à la mer. Lima, mise à sac, fut occupée pendant près de quatre ans par les troupes chiliennes.
« Le chemin du 21e siècle »
Une décision en faveur du Pérou affecterait les intérêts économiques du Chili dans une zone de pêche particulièrement rentable.
Dans une volonté d’unité nationale, M. Humala a convié lundi les hautes autorités politiques, dont deux ex-présidents, les représentants régionaux et de la société civile, à écouter la sentence de la CIJ au Palais présidentiel, dont la lecture sera retransmise en direct à la télévision nationale à 09H00 locales (14H00 GMT).
Pour Lima, « la récupération symbolique d’un morceau de mer aiderait à tourner la page d’un des chapitres les plus tristes de l’histoire républicaine » du Pérou, estime l’universitaire et historienne péruvienne Carmen McEvoy.
« Ce que le Pérou récupérerait, c’est son assurance, son amour-propre. Il deviendrait alors possible de considérer le vieil adversaire comme un égal, afin de prendre ensemble le chemin du 21e siècle », explique-t-elle.
Pour l’historien chilien Sergio Gonzalez, le Chili « ne peut pas être assujetti à ces litiges diplomatiques qui nous accompagnent depuis le 19e siècle ». « Les deux pays doivent utiliser la décision de la CIJ comme une opportunité d’intégration, de projets communs et le renforcement de l’Alliance Pacifique », dit-il à l’AFP.
Les quatre pays de l’Alliance du Pacifique (Colombie, Chili, Pérou et Mexique) comptent pour 35% du PIB de l’Amérique latine. Cette communauté économique fondée en 2012 concentre 50% du commerce de l’Amérique latine avec le monde.
Malgré les appels du gouvernement péruvien à la population pour qu’elle s’abstienne de tout chauvinisme et observe calme et sérénité, les drapeaux péruviens ont commencé à fleurir dans certaines municipalité de Lima et du reste du pays, à la veille de la décision de La Haye.
Tandis que l’ex-président Alan Garcia a demandé à tous les Péruviens de hisser le pavillon national chez eux, la ministre des Affaires étrangères Eda Rivas a invité « à ne pas faire de gestes qui puissent être mal interprétés » par le voisin du sud.
« La rivalité avec le Chili est inévitable et continuera d’une certaine manière car elle est aussi culturelle et liée au folklore », estime Nelson Manrique.
Ainsi, malgré la décision de La Haye, les passes d’armes entre Chiliens et Péruviens sur l’origine géographique du pisco ou de la pomme de terre risquent de continuer encore longtemps.