Entre Bolloré et son ancien associé en Afrique, une guerre judiciaire sans fin

Dernier épisode en date dans cet affrontement qui remonte au milieu des années 2000, le Franco-Espagnol Jacques Dupuydauby, fondateur du groupe de services logistiques portuaires espagnol Progosa, a été entendu mardi par la juge d’instruction parisienne chargée d’enquêter sur la plainte pour trafic d’influence et corruption qu’il avait déposée en février 2017.

Une petite victoire pour cet homme aujourd’hui âgé de 72 ans, condamné en Espagne dans une procédure initiée par Vincent Bolloré, lui-même désormais mis en examen en France pour corruption dans l’affaire des ports africains.

La cour d’appel de Paris a ordonné mi-avril que la plainte de M. Dupuydauby soit instruite après un premier refus de la juge d’instruction qui s’estimait incompétente en la matière, les faits dénoncés s’étant déroulés en Espagne.

« Cette audition marque une étape importante dans ce qui doit conduire à la révélation de l’ensemble des manoeuvres mises en place par Bolloré pour obtenir par tous moyens la condamnation de M. Dupuydauby », ont réagi ses avocats, Vincent Brengarth et William Bourdon, auprès de l’AFP.

Dans sa plainte, Jacques Dupuydauby accuse plusieurs magistrats français et espagnols, qui exerçaient des fonctions au sein du groupe Bolloré alors qu’ils étaient en retraite ou disponibilité, d’avoir influé sur la justice espagnole pour qu’elle se prononce systématiquement en sa défaveur.

Vincent Bolloré avait en effet initié des procédures dans la péninsule ibérique contre son ancien associé, l’accusant de s’être approprié indument des parts de son groupe dans des filiales africaines via un montage au Luxembourg.

Devant les juges espagnols, la défense de M. Dupuydauby avait notamment fait valoir que ce dernier avait déjà été condamné au civil pour ces faits au Togo et au Gabon, et ne pouvait donc l’être de nouveau en Espagne, selon le principe du « non bis idem ». En vain: en 2015, un tribunal de Séville a prononcé une peine de trois ans et neuf mois de prison ferme.

Il vient d’être autorisé à purger sa peine en France, qui pourrait être aménagée.

– « Appuis politiques » –

Pour l’ancien homme d’affaires, la réussite de sa société Progosa en Afrique est à l’origine de ses démêlés judiciaires avec M. Bolloré, dont le groupe, qui jouissait d’une position de monopole, s’est senti menacé. Dans sa plainte, consultée par l’AFP, il estime que le « modus operandi » du groupe Bolloré a consisté à « l’évincer » de ses positions « par le jeu des appuis politiques dont M. Bolloré semble avoir bénéficié pour s’emparer des différentes concessions portuaires africaines, depuis de nombreuses années ».

L’obtention de ces concessions par le groupe fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du pôle financier du tribunal de Paris, nourrie, entre autres, par des plaintes de M. Dupuydauby. Les investigations ont débouché en avril 2018 sur une mise en examen de Vincent Bolloré notamment pour « corruption d’agent étranger ».

A l’époque, l’avocat de M. Bolloré avait dénoncé « la résurgence de vieilles accusations sans fondement » de M. Dupuydauby, qu’il jugeait discrédité par sa condamnation en Espagne.

Les juges Serge Tournaire et Aude Buresi soupçonnent le groupe Bolloré, aussi mis en examen, d’avoir utilisé les activités de conseil politique de Havas afin de décrocher la gestion des ports de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée, via une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.

SDV a obtenu la gestion du port de Conakry quelques mois après l’élection d’Alpha Condé fin 2010, et avait remporté la concession à Lomé peu avant la réélection en 2010 de Faure Gnassingbé, qui étaient alors tous deux conseillés par Havas.

S’appuyant en particulier sur les documents retrouvés lors des perquisitions de 2016 au siège du groupe Bolloré, les magistrats soupçonnent Havas d’avoir sous-facturé ses services rendus aux deux candidats victorieux pour obtenir, en contrepartie, la gestion des concessions portuaires.

A plusieurs reprises, le groupe Bolloré a « formellement » contesté toute irrégularité en Afrique, où il gère plus d’une quinzaine de terminaux portuaires.

edy-bl/tib/lem

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