Indésirables sur la Manche, des exportateurs de gibier ripostent en justice contre Brittany Ferries

Le bras-de-fer jusqu’ici discret entre ces fournisseurs de faisans et perdrix destinés aux parties de chasse anglaises et le géant français des « transmanche » va désormais se jouer au tribunal.

Deux sociétés de l’ouest de la France, Gibovendée et Envol de Retz, ont récemment assigné leur principal transporteur, Brittany Ferries, pour « discrimination sur le fondement des opinions politiques » devant le tribunal correctionnel de Brest.

« Depuis l’automne 2015, sous la pression des ligues anti-chasse », la compagnie leur a refusé « le transport des poussins entre la France et la Grande-Bretagne », « au motif exclusif » qu’elle « craignait pour son image de marque », dénoncent-elles dans la citation directe délivrée au transporteur le 12 septembre, dont a eu connaissance l’AFP.

Plus rapide qu’une plainte auprès du parquet, cette procédure permet de saisir directement un tribunal pour demander une indemnisation. Une audience est prévue en juin et deux autres sociétés d’élevage doivent s’associer à cette action.

« Le fait de refuser cette prestation de transport en prenant parti pour les anti-chasse contre les chasseurs, c’est faire un choix politique qui constitue une motif discriminatoire », a expliqué à l’AFP Me Alexandre Varaut, l’avocat des deux « leaders européens » du secteur.

Joint par l’AFP, Brittany Ferries n’a pas souhaité faire de commentaires. La direction du britannique P&O Ferries a confirmé pour sa part avoir interrompu ces transports depuis deux ans, sans autre réaction.

– « Fort émoi » –

« L’enjeu est la reprise du commerce ou la mort d’une filière qui représente plus de 300 emplois en France, une tradition et des compétences, aujourd’hui pris en otage par les militants anti-chasse », plaide Me Varaut.

En France, ces quatre sociétés couvrent la quasi-totalité du marché européen de la production d’oeufs et de poussins d’un jour de faisans et de perdrix, destinés à l’élevage ou revendus pour peupler les terres de chasse.

Ce secteur est de longue date très dépendant du marché britannique, qui recourt essentiellement aux éleveurs français pour importer ses « game birds » (gibiers à plume).

Gibovendée affirme qu’elle engrangeait plus de 45% de son chiffre d’affaires outre-Manche avant d’être rattrapée par le débat médiatique sur la chasse et la souffrance animale. « Notre activité est pourtant légale », insiste son président Denis Bourasseau.

Le vent a tourné en octobre 2015 quand le dirigeant reçoit un courrier de son partenaire de « 25 ans ». La « Brittany » lui fait part du « fort émoi » suscité auprès de sa clientèle de passagers après la diffusion d’une vidéo par l’organisation britannique « League against cruel sports » relatant les conditions d’élevage des faisans en France et leur mort certaine dans les parties de chasse, selon ce courrier versé à la procédure.

« Compte tenu de l’influence des réseaux sociaux », elle l’informe être « dans l’obligation d’arrêter tout type de transports d’animaux destinés à la chasse ».

« Le risque pour l’image de marque (…) est trop important », persiste la compagnie en mars 2017.

« On a été mis devant le fait accompli pour une vidéo et quelques tweets. Nous sommes acculés, victimes de la pression lobbyiste de minorités qui font peur », déplore Denis Bourasseau, qui n’exclut pas de délocaliser l’activité, faute d’accès à la Manche.

Pour les éleveurs, c’est la voie royale pour acheminer les poussins dans un délai légal de 24H, et sans trop de pertes, contrairement à l’avion où le risque de mortalité est accru pour les poussins.

Or, les deux autres principaux transporteurs, P&O ferries et DFDS Seaways ont adopté la même position que Brittany Ferries et se retrouvent à leur tour assignés à Boulogne-sur-Mer et Dieppe.

Dénonçant un abus de position dominante des quatre compagnies transmanche, les sociétés ont saisi l’autorité de la concurrence.

« C’est comme interdire à un camion de monter sur un ferry sous prétexte qu’il transporte une pièce métallique destinée à une centrale nucléaire, et cela parce que des opposants ne veulent pas de cette énergie! », estime le président de Gibovendée.

Par sécurité, il tient à dissimuler son dernier moyen d’accès à l’Angleterre.

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