Inquiétude et diplomatie poussent le Qatar à acheter plus d’armes

L’Arabie saoudite et ses alliés ont rompu en juin toutes leurs relations avec Doha, accusant le pays hôte de la Coupe du monde 2022 de soutenir des groupes extrémistes et de se rapprocher de l’Iran, grand rival de Ryad.

Depuis, le Qatar a annoncé la signature d’une série de contrats militaires d’une valeur totale de 20 milliards d’euros (25 mds de dollars).

« Bien que les dépenses en matière de défense du Qatar soient en hausse depuis plusieurs années, le pic récent semble être directement lié à la crise », estime David Roberts, professeur au King’s College de Londres.

Juste après le début de la dispute, Doha a acheté des avions de chasse F-15 aux Etats-Unis, et en décembre, l’émirat gazier a signé un contrat pour l’achat de 12 avions de combat Rafale supplémentaires lors de la visite du président français Emmanuel Macron.

Il aussi confirmé une commande de sept navires de guerre à l’Italie, et a lancé des négociations pour acheter des systèmes russes de défense antiaérienne S-400.

– ‘Investissement massif’ –

Alors que le Qatar, situé sur une péninsule, abrite la plus grande base américaine au Moyen-Orient, al-Udeid –qui compte quelque 10.000 soldats américains–, le ministre de la Défense Khaled ben Mohamed al-Attiya a affirmé ces derniers jours vouloir également accueillir la marine de guerre américaine.

La Turquie, qui dispose aussi d’une base militaire au Qatar, pourrait également y déployer des forces maritimes.

En décembre, lors des célébrations de la fête nationale, des troupes qataries avaient symboliquement paradé avec des missiles balistiques de fabrication chinoise récemment acquis.

« Il y a un investissement massif dans le domaine militaire », résume Andreas Krieg, conseiller auprès du gouvernement qatari jusqu’à l’an dernier.

Jusqu’à 2013, le Qatar dépensait quelque 3 milliards de dollars (2,4 mds d’euros) par an pour la défense, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

Mais le récent boom des dépenses militaires révèle la crainte d’une invasion.

Des responsables qataris ont admis en privé n’avoir pas du tout vu venir la crise du Golfe.

« Il y avait une crainte que les premières mesures économiques et diplomatiques imposées au Qatar le 5 juin soient le prélude à une intervention militaire », note Kristian Ulrichsen, analyste du Golfe à l’Institut Baker de l’Université Rice aux Etats-Unis.

Selon M. Krieg, la peur d’une invasion remonte à 2014 lorsque l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn avaient brusquement rappelé leurs ambassadeurs au Qatar.

Cette crise avait été résolue –ou tout au moins mise en sourdine– mais son souvenir demeure vivace.

– ‘Se préparer au pire’ –

L’émir du Qatar cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani avait succédé à son père quelques mois seulement avant la crise de 2014.

Formé à la prestigieuse académie militaire britannique de Sandhurst, il a rompu avec la politique de son père et alloué plus de moyens à la défense, domaine qui a été « sous-financé pendant plusieurs décennies », selon M. Krieg.

« Les dirigeants du Qatar essaient de prévoir l’imprévisible », souligne David Roberts.

« Même si une action militaire leur semble peu probable, leurs prédictions se sont constamment avérées fausses, et le Qatar doit ainsi se préparer au pire », ajoute-t-il.

Au-delà de l’aspect purement de défense, la signature des contrats militaires revêt également un volet diplomatique pour l’émirat gazier qui veut renforcer ses relations avec certains pays clés.

Pour la porte-parole du ministère qatari des Affaires étrangères, Lulwa al-Khater, les accords de défense bilatéraux aident « à renforcer ces partenariats ».

Le Qatar veut que Paris, Londres et Washington jouent un rôle croissant dans le maintien de sa sécurité et stabilité, ajoute pour sa part M. Roberts.

Malgré les efforts du Qatar visant à renforcer son armée, ses capacités restent bien en deça de celles de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis.

Mais le Qatar garde un atout dans son jeu: la base américaine.

« Nous ne devrions pas sous-estimer que le plus grand garant (à la sécurité du Qatar) est Al-Udeid », indique M. Krieg.

dh/nbz/vl

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