En frappant fort à moins de dix kilomètres du site gazier pesant plusieurs milliards d’euros, les groupes armés ont signé son arrêt, au moins pour plusieurs mois, repoussant d’autant cette manne promise au gouvernement mozambicain.
Cette prise –après celle du port stratégique de Mocimboa da Praia en août 2020 à quelque 80 km– démontre aussi les capacités stratégiques des commandos armés qui conservent l’initiative face à une armée dépassée.
Et confirme une « stratégie littorale » des jihadistes et leur volonté de « complexifier le soutien logistique » du site gazier, désormais uniquement accessible et ravitaillable par voie maritime par Pemba, la capitale de la province de Cabo Delgado, comme le souligne auprès de l’AFP un expert sécuritaire français.
Les routes sont impraticables depuis longtemps déjà.
Le géant énergétique, qui avait suspendu ces derniers mois les travaux du site, censé être opérationnel en 2024, en raison d’une grande insécurité dans la zone, avait annoncé leur reprise mercredi. Quelques heures avant l’attaque surprise des jihadistes.
Vu la préparation minutieuse de l’attaque — menée simultanément à trois endroits pour créer un maximum de panique, avec pillage d’emblée des banques et d’un navire rempli de nourriture tout juste accosté–, il est très peu probable qu’elle ait été une réponse à l’annonce de Total.
Mais la juxtaposition de cette annonce et de l’ampleur de l’attaque qui a suivi est « particulièrement humiliante », y compris pour le gouvernement qui a promis au site gazier d’assurer la sécurité sur un périmètre de 25 km à la ronde, souligne Alexander Raymakers, chercheur à l’institut britannique Verisk Maplecroft.
« C’est une démonstration claire que le groupe a progressivement augmenté ses capacités militaires, gagné en sophistication et qu’il garde l’initiative », résume-t-il.
– « Expats ciblés » –
Cette attaque « en termes d’impact est énorme », opine Adriano Nuvunga, directeur d’un centre de recherches à Maputo. « Elle marque un tournant, en offrant une grande visibilité aux jihadistes, qui montrent ainsi au monde qu’ils peuvent avoir un impact significatif sur le calendrier du projet gazier ».
Ces groupes armés, très opaques, se composent principalement de locaux désenchantés par l’absence de perspectives économiques liées au projet gazier, mais sont nourris de nombreux Tanzaniens, selon plusieurs experts, et sans doute d’autres étrangers.
Surnommés Shababs (les jeunes) par les locaux, ils ont prêté allégeance au groupe Etat islamique, qui revendique leurs attaques depuis juin 2019, les incluant ainsi dans sa galaxie.
La prise de Palma est aussi un tournant « en ce que pour la première fois, du personnel expatrié, sud-africain et britannique au moins, travaillant sur le projet gazier, est directement pris pour cible », affirme l’expert sécuritaire français, qui n’oublie pas « le grand nombre de victimes mozambicaines, en particulier les +petits fonctionnaires+ abandonnés à leur triste sort ».
La capacité des militaires mozambicains à réagir « est franchement compromise, ils essayent depuis près d’un an de reprendre le port de Mocimboa », avec le succès que l’on sait, souligne Martin Ewi, chercheur à l’Institut des études sécuritaires de Pretoria.
Cela pourrait inciter Maputo à redoubler d’efforts pour obtenir une aide étrangère, « mais qui va vouloir s’engager dans ce bourbier? », souligne l’expert français.
En attendant, « il en résulte qu’une bonne centaine de combattants bien déterminés peuvent durablement geler un grand projet industriel » pesant des milliards, résume-t-il. « Le rapport coût/efficacité est considérable, au bénéfice des jihadistes ».
Car même si Palma était rapidement reprise, « les retards pour le projet vont se compter, sans doute en mois, avec un coût pouvant s’estimer à des centaines de millions », estime-t-il. « Entre mesures de sécurité drastiques, durcissement du site et primes exceptionnelles pour inciter des vocations à l’expatriation, cela va coûter très, très cher aux opérateurs ».