Edward Njeleza est l’un de ces pêcheurs, aujourd’hui partiellement reconverti dans la fabrication d’objets de perle. Il affirme que ses prises ont chuté de 90% ces dix dernières années.
A l’époque, dit-il, ses neuf équipiers et lui ramenaient jusqu’à 300 kg de poisson par jour. Ils peinent aujourd’hui à en pêcher 25 kg.
« Nous allons pêcher, mais nous ne ramenons jamais grand chose », déplore-t-il, « nous ne prenons plus de gros poissons… »
« Autrefois, on passait deux heures par jour sur le lac et on revenait avec un bateau plein, maintenant, on y passe 12 heures et on ramène moins qu’avant ».
Dans sa dernière étude sur le chambo (oreochromis lidole), autrefois richesse des riverains du lac, qui date de 2004, l’Union internationale pour la Conservation de la nature (IUCN) parlait « d’un déclin estimé à 70% sur les dix années écoulées ».
Une nouvelle étude sur ce poisson, qui vit dans les eaux claires et profondes du lac, devrait être lancée cette année, si l’IUCN parvient à réunir les fonds nécessaires.
Mais les scientifiques locaux ont déjà leur idée sur les conclusions à venir.
« Les principales raisons de la disparition des stocks, particulièrement du chambo, sont la surpêche et la dégradation des eaux, en raison de facteurs dus au changement climatique », affirme William Chadza, directeur du Centre pour la défense et la politique de l’Environnement, basé à Blantyre.
« C’est grave, et je pense que si on ne fait rien nous seront très bientôt dans une terrible situation », poursuit M. Chadza.
Droit à la catastrophe
L’incapacité du gouvernement à faire respecter des saisons de pêche, qui permettraient aux poissons de se reproduire, est également citée parmi les facteurs aggravants. « C’est une bataille que nous perdons », admet Gervaz Thamala, président de la Société pour la Nature et l’Environnement du Malawi. Les lois pour protéger le poisson existent, affirme-t-il, « mais le principal problème c’est la gouvernance: (faire respecter) ces lois est un défi, pour le moment ».
« Nous allons droit à la catastrophe », met-il en garde, « l’extinction totale du chambo est maintenant une possibilité, parce que nous n’avons pas développé le secteur de l’aquaculture, qui pourrait servir à compenser les pertes dans une telle situation ».
Plus loin sur le lac, Dogo Morris est le patron d’une équipe de dix pêcheurs, occupés à remonter leurs filets lancés six heures auparavant. Le filet est halé sans efforts… il a capturé à peine dix kilos de petits alevins.
« Je n’ai rien à vendre », lance-t-il à une douzaine d’acheteurs potentiels qui rebroussent déjà chemin.
Parmi eux, Raymond Johnson, fournisseur de plusieurs hôtels et restaurants dans la grande ville de Blantyre. Il attend depuis trois jours des arrivages massifs de chambo. En vain. « Mes affaires vont mal, mes revenus ont chuté de 45 à 50% », affirme ce grossiste, qui fait régulièrement le voyage vers le lac pour acheter le chambo par centaines de kilos, avant de le revendre à ses clients.
Autrefois prospères, les patrons pêcheurs du lac Malawi doivent aujourd’hui chercher d’autres sources de revenus, comme Njeleza, qui confectionne des bijoux en perle et en graines, pour boucler ses fins de mois.
Parfois, il arrive aussi à se faire payer par un touriste désireux de faire un tour en bateau sur le lac. Avant de repartir à la pêche à la nuit tombante. Sans grand espoir.