La reprise de la pêche commerciale de la morue au Canada en terrain fragile

Montréal, 4 juin 2025 (AFP) – Plus de trente ans après la fin de la pêche à la morue, celle-ci est de nouveau autorisée au Canada. Mais l’âge d’or de ce commerce légendaire semble loin car le moratoire n’a pas réellement permis le rétablissement des stocks, ce qui soulève des questions.

Devenu un symbole mondial de mauvaise gestion d’une ressource et de la surpêche, ce poisson avait quasiment disparu au large de l’île de Terre-Neuve, dans l’Est du Canada.

Pendant des siècles, il a pourtant fait vivre la région mais aussi des pêcheurs européens et lorsque le Canada a décidé d’interdire la pêche commerciale en 1992, des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées au chômage.

Malgré ce moratoire, prévu au départ pour deux années et qui a finalement duré plus de 30 ans, les stocks de poissons – qui avaient chuté de 99% – ont eu du mal à sortir de la « zone critique ».

Grâce à une légère amélioration de la situation, l’an passé, les plus gros bateaux de la flottille hauturière ont été autorisés à repartir en mer. Le quota avait été fixé à 18.000 tonnes, bien loin des 120.000 tonnes autorisées juste avant le moratoire et des 250.000 tonnes annuelles à la fin des années 1980.

Et pour cette année, les dates d’ouverture de la pêche et les quotas ne sont pas encore connus.

Pourquoi la population de morue n’a pas pu se reconstituer malgré un long moratoire est la question « à un million de dollars », lance Tyler Eddy, chercheur à la Memorial University à Terre-Neuve, pointant vers « de nombreux facteurs » comme la température changeante de l’eau.

Le stock reproducteur est actuellement estimé à près 525.000 tonnes, selon les dernières données publiées en avril. La population de morue représente aujourd’hui 76% des niveaux estimés dans les années 1980, et 38% de ceux des années 1960, calcule Pêches et Océans Canada.

– Le capelan en danger –

Le rétablissement du cabillaud dépend également de l’abondance du capelan, un petit poisson qui est l’une de ses principales sources d’alimentation et qui se fait rare depuis le début des années 1990.

Les stocks sont toujours bas et « devraient diminuer » cette année, note Pêches et Océans Canada, ce qui « limitera le potentiel de croissance du stock de morue ».

Pour Rebecca Schijns de l’ONG environnementale Oceana, « tant que le capelan ne s’est pas rétabli, ce n’est pas le moment d’intensifier la pêche ».

« Les stocks de morue sont toujours en difficulté et dans un état très fragile », estime-t-elle, en soulignant qu’il est essentiel de se concentrer sur l’élaboration « d’un meilleur plan de gestion »

« À l’heure actuelle, le capelan ne fait l’objet d’aucune mesure de reconstitution ni d’aucune règle d’exploitation », rappelle-t-elle.

– Répétition de l’histoire? –

Mais à l’opposé, Sylvie Lapointe, présidente du Atlantic Groundfish Council, qui représente notamment le secteur de la pêche en haute mer, réclame une augmentation des quotas à 50.000 tonnes cette année.

Ce taux d’exploitation, à moins de 10% du stock actuel, est « très prudent quand on regarde ce qui se passe avec les autres stocks de morue en Europe », insiste-t-elle.

« Nous étions l’emblème du manque de gestion durable. Mais beaucoup de choses ont changé en 32 ans: les méthodes de pêche, la mentalité de l’industrie, les marchés », énumère-t-elle.

Le moratoire a été « dévastateur » car le cabillaud a été le principal moteur économique de Terre-Neuve pendant 500 ans, renchérit Alberto Wareham, qui dirige l’usine de transformation de poisson Icewater Seafoods.

Quelque 30.000 personnes ont perdu leur emploi mais son usine a survécu grâce aux prises des pêcheurs côtiers – dont les petits bateaux étaient encore autorisés – et à l’importation de morue congelée en mer en provenance de Norvège et de Russie.

Mais des pêcheurs côtiers, comme Lillian Saul, craignent une répétition de l’histoire avec le retour des bateaux qui opèrent en haute mer.

« Ils peuvent être incroyablement destructeurs et attraper en une seule fois ce que nous pouvons attraper tout au long de l’été », explique cette pêcheuse, qui défend le maintien d’une activité « durable ».

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