Les bateaux-usine, bras armé de la pêche industrielle mondiale

Le Dalni Vostok, chalutier-congélateur russe long de 104 mètres, a coulé dans les eaux glaciales de l’Extrême-orient russe avec 132 personnes à bord, faisant au moins 56 morts.

Il est très difficile d’évaluer le nombre exact de ces navires géants qui sillonnent les mers du globe.

Ils seraient « quelques dizaines », mais « ils sont difficiles à repérer car ils jouent avec le système et changent de pavillon en fonction de la répartition de la ressource », explique François Chartier, chargé de campagne chez Greenpeace.

Partis pour plusieurs mois, ces navires ont besoin de beaucoup de personnel pour manoeuvrer le navire, pêcher puis pour préparer le poisson avant qu’il ne soit conditionné et congelé.

Certains déchargent même directement leur marchandise en mer à des cargos de transports pour rester sur la zone de pêche.

– Les Chinois en pointe –

Héritée de l’époque soviétique, la flotte russe de navires-usines, dont faisait partie le Dalni Vostok, « a fondu comme neige au soleil », en partie à cause d’accords commerciaux avec la Norvège, très à cheval sur la pêche durable, explique Stéphan Beaucher, consultant sur les politiques de pêche.

Sur les registres de flotte de l’Union européenne, on retrouve la trace de 85 chalutiers de plus de 85 mètres, qui ramènent du poisson travaillé. 24 sont Espagnols, 17 Français, huit Allemands, a notamment recensé M. Beaucher.

Les Pays-Bas en ont dix, « des monstres qui se baladent partout », mettant le cap sur les côtes africaines avant de revenir décharger le poisson aux Canaries puis de repartir pêcher, explique-t-il.

La Corée du Sud et Taïwan possèdent aussi des navires, mais « ce sont les Chinois qui ont poussé le modèle le plus loin. Ils ont de plus en plus de bateaux performants, avec une spécialisation des tâches », complète M. Beaucher.

Parmi eux, un véritable mastodonte, le Lafayette, un ancien pétrolier de 229 mètres reconverti par la société chinoise Pacific Andes. Avec 320 employés à bord, il peut congeler 1.500 tonnes de poisson par jour et accueillir 14.000 tonnes dans ses frigos.

Utilisé comme un « navire-mère », il ne pêche pas, mais récupère les poissons de sept bateaux plus petits qui font la navette autour de lui.

– « Esclavage » –

Le Lafayette est aussi enregistré dans la flotte russe, « ce qui lui permet de pêcher sur plusieurs quotas, chinois et russe », souligne M. Beaucher.

Le genre d’astuces dont les armateurs de ces navires sont friands.

« Par définition, ils pêchent loin de leurs eaux territoriales, dans des zones où les Etats vendent le droit de pêcher le long de leurs côtes », notamment en Afrique, privant les pêcheurs locaux de leur gagne-pain, regrette Christian Buchet, directeur du Centre d’études de la mer à l’Institut catholique de Paris.

« Les conditions de travail sont très difficiles », voire carrément proches de « l’esclavage » sur les navires asiatiques, où les campagnes peuvent aller de neuf mois à deux ans, explique Jacky Bonnemains de l’ONG Robin des Bois.

« Sauf sur les bateaux chinois, les équipages sont multinationaux. Les passeports – quand ils existent – sont dans les mains du commandant ou de l’armateur. De plus en plus d’hommes embarqués à bord des navires asiatiques ne sont pas vraiment des marins, ce sont souvent des gens sans papiers, provenant du monde rural », raconte-t-il.

Sans oublier les conséquences écologiques de cette pêche « qui râtisse copieusement les fonds marins », fustige Christian Buchet.

Greenpeace a d’ailleurs lancé en novembre une campagne contre vingt bateaux-usines européens, surtout espagnols et néerlandais, accusés de surexploiter les océans.

Selon l’ONG, 1% de la flotte mondiale (bateaux-usine et thoniers) capture 50% des poissons chaque année.

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