« Avant, on pêchait illégalement dans les eaux mauritaniennes. On n’était pas rassurés et on prenait la fuite quand on apercevait une lampe de garde-côtes. L’accord nous a ramené la paix », explique à l’AFP Amadou Wade, capitaine sénégalais d’une pirogue de la ville frontalière de Saint-Louis (nord), en débarquant sa cargaison de sardinelles sur la plage des pêcheurs de la capitale mauritanienne, Nouakchott.
Les pêcheurs sénégalais sont confrontés depuis des années à une raréfaction de la ressource halieutique dans leur pays, due notamment à une surexploitation. Ils dépendent en partie des eaux de pays voisins, voire plus éloignés comme le Liberia.
A Saint-Louis, l’importante communauté depêcheurs setourne traditionnellement vers la Mauritanie. Mais, ces dernières années, les pêcheurs de l’ancienne capitale du Sénégal refusaient de faire immatriculer leurs embarcations en Mauritanie ou d’y débarquer une partie de leurs captures. Pour les autorités mauritaniennes, ce refus constituait du vol pur et simple.
– Pêcheur tué –
Le 29 janvier 2018, des garde-côtes mauritaniens avaient tiré sur une pirogue transportant neuf pêcheurs sénégalais, tuant un de ses jeunes occupants. A Saint-Louis, les pêcheurs avaient laissé éclater leur colère et s’en étaient pris à des boutiques tenues des Mauritaniens.
Deux ans et demi après la in de leur ier accord, Dakar et Nouakchott ont fini par régler leur différend mi-2018, sous l’égide du président sénégalais Macky Sall et de son homologue mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz.
Pour le Sénégal, le secteur de la pêche est un important pourvoyeur d’emplois, tandis que les Mauritaniens, à la faible tradition de pêche, n’ont pas la flotte nécessaire pour alimenter le marché local, alors que la consommation de poisson, autrefois marginale, entre de plus en plus dans les habitudes alimentaires.
Les deux pays avaient en outre tout intérêt à réchauffer leurs relations, à quelques années du début de l’exploitation en commun d’un important champ gazier off-shore situé à cheval sur leur frontière.
Avec la nouvelle convention, entrée en vigueur fin janvier, les pêcheurs sénégalais bénéficient désormais de 400 licences mauritaniennes et d’un quota annuel de 50.000 tonnes de poissons de pleine mer, dont les sardinelles, les chinchards, les ethmaloses et les anchois.
En échange, le Sénégal doit verser à la Mauritanie 15 euros pour chaque tonne de poisson pêchée, dont 10 euros dus par les pêcheurs et cinq euros par l’Etat du Sénégal.
Dakar a également accepté que les pirogues soient inspectées en Mauritanie avant de poursuivre leur route jusqu’à leur port d’attache et que 6% des captures soient réservées au marché mauritanien, où les prix n’avaient cessé de monter depuis 2015.
– Renégociation –
Côté mauritanien, le retour des pirogues sénégalaises est considéré comme une bénédiction par l’industrie du poisson.
« Les quantités vont augmenter, tout le monde va en bénéficier », estime Yeslem Ould Abdallahi, gérant d’un centre de traitement des poulpes, calmars et seiches à Nouakchott.
Selon lui, « le petit artisan qui traitait 50 kg par jour en aura 100 et les sociétés passeront d’une à deux ou trois tonnes ». « L’Etat y gagnera également », grâce à l’augmentation des taxes à l’exportation.
« A Nouakchott, 52 sociétés qui étaient à l’arrêt ou ne tournaient qu’à 10 ou 20% de leur capacité vont passer à 80% », se réjouit un responsable de la Fédération des professionnels mauritaniens de la pêche (FPMP), Mohamed Yahya. Pour lui, le quota de 6% – 24 pirogues sur 400 – reste trop faible. Mais, selon l’accord, les armateurs mauritaniens pourront affréter des pirogues sénégalaises supplémentaires pour faire tourner les usines à plein régime.
Au Sénégal, des adversaires du président sortant Macky Sall à la présidentielle de dimanche lui ont reproché d’avoir lâché trop de lest. Parmi eux, l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck, a plaidé pour des « quotas de pêche plus importants », tandis que le candidat du parti Pastef-Les Patriotes, Ousmane Sonko, promet de « suspendre » les accords afin d’entamer une « renégociation », selon un proche conseiller.