« C’est la course-poursuite aux prix les plus bas », constate Sébastien Poncelet, spécialiste des céréales chez Argus Media France (cabinet Agritel).
Sur Euronext, note-t-il, « le blé est au plus bas depuis trois ans et demi ». « On est au niveau d’août 2020 sur l’échéance la plus rapprochée » avec une clôture du cours mardi soir à 183,5 euros la tonne, précise-t-il.
La tendance est la même à la Bourse de Chicago, où le blé américain de variété SRW (Soft Red Winter Wheat) pour le contrat rapproché est descendu mardi à son plus bas niveau depuis plus de trois mois, à 5,475 dollars le boisseau (environ 27 kg).
Partout, le blé chute « parce que le potentiel est toujours là en Russie et en Ukraine, qui vendent à prix cassés », explique Jon Scheve, de la société de conseil Superior Feed Ingredients.
« En février, l’Ukraine a exporté plus de 7 millions de tonnes de céréales et oléagineux: elle fait mieux qu’avant la guerre », souligne Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage.
Selon les données de l’association de producteurs ukrainien UGA, les exportations, essentiellement du maïs et du blé en cette saison, sont en hausse de 16% par rapport à février 2023, et l’essentiel de ces produits quitte le pays via les ports de la région d’Odessa (72%).
En réaction, « les prix russes baissent jusqu’à arriver au niveau des prix ukrainiens, et les prix ukrainiens baissent encore. Les acheteurs en jouent en retardant leurs achats et en faisant jouer la concurrence au maximum », analyse Sébastien Poncelet.
« L’offre reste abondante » et les récentes déclarations du président russe Vladimir Poutine, qui a évoqué des exportations de grains supérieures à 65 millions de tonnes pour la campagne en cours, ont « renforcé le scénario de l’offre surabondante », relève Michael Zuzolo, de Global Commodity Analytics and Consulting.
– « Ecluser les stocks excédentaires » –
Profitant de cette aubaine sur les prix, l’Algérie a acheté près de 900.000 tonnes de blé tendre à moins de 230 dollars la tonne (transport compris) pour juin. Elle avait payé 265,5 dollars la tonne pour son précédent achat à la mi-janvier.
« Une grande partie de ce contrat – avec origines optionnelles qui pourront varier jusqu’à la date de chargement – sera probablement russe, mais on parle aussi d’origines française ou roumaine », indique Damien Vercambre.
« On voit quelques appels d’offre, de la Jordanie et de la Corée du Sud, mais pour des volumes faibles » de la part de « clients habituels », détaille-t-il.
Personne ne se précipite, car « il n’y a pas de craintes sur les volumes, ce qui n’est pas de nature à faire remonter les cours », estime le courtier.
Jusqu’aux Etats-Unis, « on n’a pas une demande qui justifierait des prix plus élevés. Les prix bas du blé entraînent maïs et soja vers le bas », signale Jon Scheve.
Sur le marché européen, « le maïs résiste mieux », après un « plus bas » le 19 février, à 169 euros la tonne sur l’échéance de juin, notamment du fait de récents achats de grain jaune ukrainien par la Chine, selon le cabinet Agritel.
Et si maïs et soja « se sont un peu repris depuis quelques jours » sur le marché américain, « on n’est pas prêt à parler de plancher », juge Jake Hanley, dirigeant de Teucrium Trading.
Mais les cours du soja et du maïs américains pourraient évoluer une fois publiés les nouvelles règles fiscales et abattements pour l’éthanol pour le carburant d’aviation durable (SAF) aux Etats-Unis, pointe Michael Zuzolo.
« Jusqu’ici, chaque fois qu’une information permet au marché de se redresser, les fonds se remettent à vendre. On n’en sortira que lorsque les pays de la mer Noire auront éclusé leurs stocks excédentaires », estime-t-il.