Non, les pêcheurs néerlandais, inventeurs et spécialistes de la pêche électrique, sont sonnés par les dernières nouvelles de Strasbourg. Mardi, le Parlement européen a voté pour l’interdiction totale de cette innovation, efficace mais controversée, dont ils sont si fiers.
Une « bombe », un « drame », une « catastrophe ». Pêcheur de père en fils depuis trois générations, Andries de Boer, yeux tristes derrière ses lunettes dorées aux verres légèrement fumés, est abattu.
Dans son petit village d’Urk, ancienne île bordant le lac de l’IJssel, l’avenir est désormais incertain pour ces hommes de la mer, chez qui règne un sentiment de gâchis, celui d’années de travail et d’investissements.
De l’autre côté du pays, dans le port de Scheveningen, près de La Haye, son collègue Anton Dekker est « perplexe et extrêmement déçu ». Debout sur son bateau, les pieds dans les filets de pêche, son regard se perd dans le vide pendant que ses hommes préparent la prochaine sortie en mer.
Une virée de quatre jours intenses et froids sur la mer du Nord, où les impulsions électriques des filets innovateurs néerlandais laboureront peut-être pour l’une des dernières fois le fond, attrapant soles, plies et morues.
– « Réduit à néant » –
A côté de M. Dekker, se trouve l’outil si clivant. Une sorte d' »aile », inspirée des avions, qui « plane au-dessus du fond marin ». Longue d’une dizaine de mètres, elle traîne un filet émaillé de modules envoyant des impulsions électriques.
« La sole est un poisson qui se cache sous 10 cm de sable la journée. Avec ces petits stimulis électriques, elle sort du sable et hop, elle monte dans le filet », explique Anton Dekker, passionné.
« Quand on travaille depuis des années à l’amélioration de l’environnement et des émissions de CO2, moins de prises accessoires, moins de poissons de trop petite taille, qu’on a atteint notre objectif – car c’est comme ça que nous le voyons – et que tout est réduit à néant, c’est terrible », poursuit Andries, tête baissée.
A Urk comme dans tous les ports néerlandais, les pêcheurs ont investi des centaines de milliers d’euros pour se lancer dans cette pratique autorisée à titre expérimental en mer du Nord.
Mais mardi, le Parlement européen a pris position contre la pêche électrique dans l’Union, jugée par ses opposants comme « destructrice » pour les fonds marins et qualifiée de « concurrence déloyale » des bateaux néerlandais envers les « petits » pêcheurs adeptes de la méthode artisanale, en particulier dans le nord de la France.
Pour Pim Visser, directeur de l’organisation des pêcheurs néerlandais VisNed, cette campagne est « basée sur des demi-faits, des non-faits, des insinuations et des allégations ».
« C’est un coup (porté au secteur) et un gros scandale », s’emporte-t-il au retour de son voyage à Strasbourg où il a assisté au vote.
– « Arme de prédation massive » –
Aux yeux des Néerlandais, envoyer ces impulsions électriques dans le sédiment pour y capturer des poissons n’a rien de « terriblement néfaste » pour l’environnement, ni d’une « arme de prédation massive », comme l’a assuré l’eurodéputé Yannick Jadot (Verts français), à la pointe de la contestation.
Au contraire, disent-ils.
« Le fond marin est fortement moins remué » qu’avec la méthode traditionnelle, affirme Andries, cheveux rasés et visage rond.
Mais peu à peu, cette « guerre du poisson », comme l’a nommée la presse batave, prend des couleurs nationales bleu-blanc-rouge.
Particulièrement depuis que plus de 200 chefs et grandes toques se sont prononcés dans un manifeste pour une « interdiction totale » de cette pêche qui produit « des captures d’une qualité déplorable, stressées et souvent marquées d’hématomes consécutifs à l’électrocution ».
– Foie gras contre poisson « brûlé » –
« Les 200 chefs qui utilisent du foie gras disent qu’il est mauvais? Ils devraient jeter un oeil au poisson », rétorque M. Visser.
Et Andries d’inviter quiconque sur son chalutier à venir voir l’état de sa marchandise. Et à la goûter.
Le vote de mardi n’est qu’une étape du long parcours législatif du texte au sein de l’UE avant un compromis final.
Si l’interdiction totale est adoptée, les pêcheurs néerlandais « devront brûler 40 millions de litres de diesel par an inutilement » en transportant des filets traditionnels plus lourds, assure le directeur de VisNed, et « payer 25 millions d’euros pour le diesel chaque année. Soit une réduction de 20% de revenus pour des personnes qui travaillent à bord 70 heures par semaine. »
A l’heure actuelle, 84 navires néerlandais pratiquent la pêche électrique, et trois navires belges, ce qui représente moins de 0,1% de la flotte européenne.
« Une chose est sûre: nous allons continuer à pêcher, même si nous sommes contraints à le faire autrement », concède Anton, loin d’être résigné.