Méditerranée: les dents de la mer sont bien émoussées

« C’est une psychose », insiste auprès de l’AFP François Sarano, chef de l' »Expédition Requin Blanc Méditerranée », qui vise à dénombrer ces spécimens.

« Selon des études d’assureurs, le requin est en 67e place des causes de mort, derrière les piqûres de guêpe », rappelle-t-il.

A Canet-en-Roussillon le 22 juillet, une alerte au requin bleu avait provoqué une interdiction de baignade. Le lendemain, en Corse, un touriste avait filmé un squale de même espèce à environ quatre mètres de la plage de Calzarellu (Haute-Corse). Le 11 août, un autre « peau bleue » était pêché à moins d’un kilomètre de La Seyne-sur-Mer (Var)…

Comme chaque été, des plages du Midi français plongent dans un mauvais remake des « Dents de la mer », ce film américain de 1975 où des requins gros comme des baleines faisaient leur casse-croûte de bateaux entiers.

Pourtant, la menace est loin d’être réelle.

Bernard Séret, du Musée national d’Histoire naturelle à Paris, confirme: « Au cours de l’Histoire, seules deux attaques ont été répertoriées sur les côtes françaises de Méditerranée: l’une en 1884 entre Nice et Villefranche, quand quelqu’un s’est fait mordre à la jambe par un requin qu’il venait de harponner, et l’autre en 1886 à Gruissan (Aude), un cas dont on ne sait rien ».

« Un requin n’est potentiellement dangereux qu’à partir de 2 m de long. Or seuls les jeunes s’approchent du littoral. Ils ne font que 1,5 m et à cette taille, ils ne peuvent que s’attaquer à des petites proies », explique M. Séret.

– Les « anges » disparus de la Baie –

En fait, « c’est plus le requin qui est menacé que l’Homme », souligne M. Sarano. « Nous avons effectué une première expédition en juin. Nous n’avons pas vu de requins blancs », dit-il.

« Dans les années 1840, Marcel De Serres, naturaliste français, disait que le requin blanc était l’un des plus abondants en Méditerranée. Aujourd’hui, quand on en attrape, c’est très rare », déplore le responsable scientifique.

Même pour le requin peau bleue, « l’un des moins vulnérables » en raison de sa fécondité élevée, « il existe des signaux d’alarme », avertit François Poisson, biologiste de l’Ifremer chargé d’une campagne de marquage de l’espèce.

« Les pêcheurs disent en voir moins dans la partie est de la Méditerranée », explique-t-il. Mais ce requin-là reste relativement épargné et sa pêche est toujours autorisée.

En revanche, pour certaines autres espèces, « on a perdu de 90 à 99% de population », s’inquiète Olivier Dufourneaud, directeur de la politique des océans à l’Institut océanographique de Monaco.

« Ainsi, la fameuse Baie des Anges à Nice doit son nom aux anges de mer ou squatina, un requin très fréquent au XVIIIe siècle, explique-t-il. Il y a « été depuis complètement éradiqué ».

« Au large des côtes méditerranéennes françaises, il est ainsi devenu rarissime » d’observer un squale, souligne Bernard Séret, qui a publié fin 2013 une « liste rouge » spécifique aux requins des côtes méditerranéennes de France.

En Méditerranée, « les anges de mer sont en danger critique d’extinction » et d’autres espèces, comme « les requins taupes communs, sont en danger ».

« Les requins peau bleue sont quasi-menacés », car ils sont « les plus pêchés dans le monde »: leurs ailerons constituent un met royal en Asie.

Le sentiment répandu parmi le grand public selon lequel on observe de plus en plus de requins est donc faux, tranchent les experts. Le grand public en observe davantage parce que les mers sont plus fréquentées, souligne Olivier Dufourneaud.

Le requinologue se dit « inquiet » que, « même là où il existe d’anciennes réserves marines, on n’y retrouve pas plus de requins ». Serait-il alors trop tard pour le squale? « On ne peut pas aujourd’hui perdre l’espoir, mais c’est un défi », souligne-t-il.

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