Nice: le grand déballage commence au procès des mareyeurs de la Côte d’Azur

Après l’appel à la barre des 49 prévenus, poursuivis à des degrés divers dans cette vaste escroquerie en bande organisée, le tribunal a donné lecture de « courriers anonymes et bien renseignés » à l’origine de l’enquête en 2011.

Ce corbeau décrivait « des milliers d’heures sup payées au +black+ », « des achats à moitié prix et payés en liquide », « des acheteurs (qui) viennent prendre leurs enveloppes chaque semaine », « un réétiquettage des produits pour leur donner un coup de fraîcheur » et de l’argent « blanchi en Suisse et en Afrique ».

Nombre de ces allégations ont été corroborées au cours l’instruction: corruption, travail dissimulé, escroquerie, blanchiment, faux et usage de faux figurent parmi les nombreux chefs d’accusation.

Ces pratiques étaient « ancrées dans les habitudes », selon le parquet qui n’exclut pas qu’elles gangrènent d’autres filières sur la Riviera.

Grand absent du procès, le fondateur de l’entreprise niçoise Georges Leroy est décédé en 2015. Face aux enquêteurs, il a reconnu être le concepteur de la fraude, qui continuait de lui rapporter jusqu’à 40.000 euros en liquide par an. Un million d’euros a été retrouvé chez lui dans divers coffres ou cachettes.

Sa fille Murielle, qui a rouvert une poissonnerie à Cannes, est poursuivie, ainsi que son petit-fils Pascal Blanc et son ex-PDG d’origine bretonne Jean-Marc Le Pape, tous soupçonnés de « s’en être mis plein les poches », selon le parquet.

Les deux hommes ont été les premiers questionnés par le juge jeudi, assumant au moins une partie des faits, tout en expliquant que c’étaient les restaurateurs qui voulaient payer en cash.

– ‘Un vieux système’ –

Quand le tribunal s’étonne qu’ils aient pu rémunérer un employé 4.000 euros nets et 1.000 euros en liquide, M. Le Pape répond: « On s’était mis d’accord. »

Et ce défilé de clients emportant de la marchandise sans facture à chaque veille de Noël? « 10.000 euros » de fraude, reconnaît Pascal Blanc. « C’est de l’argent qu’on donnait à M. Leroy », ajoute M. Le Pape.

Le changement des étiquettes sanitaires? « C’était pas bien », finit par reconnaître Marcel Geers, 69 ans, ancien époux de la demi-soeur de M. Leroy, après avoir expliqué avec une bonhommie déconcertante que lui-même avait des choses périmées dans son frigo: « Et je les mange. »

Après des écoutes téléphoniques et une descente de la gendarmerie maritime en novembre 2012, les dirigeants des Mareyeurs du Sud-Est avaient reconnu lors des auditions des ventes sans facture ou sous-facturées pour générer du liquide, entre 500.000 et 800.000 euros par an.

C’était sans doute plus, selon le fisc, mais « pas colossal », assure Me Philippe Soussi, avocat de M. Le Pape et de son fils. « Les débats vont démontrer que c’était un vieux système qui durait depuis une cinquantaine d’années dans lequel tout le monde trouvait son compte, même si c’est amoral », dit-il.

L’Etat devrait se constituer partie civile, à l’image des magasins Casino dont sept chefs de rayon sont soupçonnés d’avoir touché 100.000 euros en liquide au total en échange de leur fidélité aux Mareyeurs.

Parmi les prévenus de renom, le chef cannois Jean-Pierre Silva, ancien deux étoiles Michelin et « obligé de rentrer dans la combine pour survivre », selon son avocat Me Michel Valiergue.

Autre chef cité à la barre, Alain Cavanna, qui officie notamment à la célèbre salle de spectacle du Sporting de Monaco.

« Mon client est là parce que la machine judiciaire s’est emballée. Quand on fait 1.000 couverts, il n’avait pas le choix de commander ailleurs » qu’aux Mareyeurs, explique son avocat Me Jérôme Culioli.

Le procès se poursuit jusqu’au 16 juin, date à laquelle le jugement est attendu.

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