« Nous sommes des victimes classiques du Covid », déplore Carsten Haake, le PDG des chantiers de MV Werften, qui ont déposé le bilan début janvier.
Conséquence : la construction du « Global Dream », mastodonte qui doit devenir le premier navire au monde pouvant accueillir plus de 10.000 passagers et membres d’équipage, a été stoppée net.
Et c’est toute la ville portuaire des bords de la Baltique qui se demande de quoi son avenir sera fait.
Le sort de l’entreprise s’est joué à des milliers de kilomètres de là, en Asie, dans les bureaux de la société Genting HK, à la fois propriétaire de quatre chantiers navals en Allemagne -dont celui de Wismar-, et de la compagnie de croisière « Dream Cruises », à qui était destinée le bateau.
Spécialisé dans les casinos et les voyages, le groupe a fait faillite, terrassé par l’impact de la pandémie et abandonné par sa maison mère, le malaisien Genting.
L’Etat allemand, en raison d’un manque de garantie, a coupé les aides publiques.
Depuis, le grand paquebot blanc de 342 mètres de long -un peu plus long que la tour Eiffel-, agrémenté de dessins bariolés d’astronautes et de sirènes, espère un sauveur.
Le projet, au coût total évalué à 1,5 milliard d’euros, est achevé « à 75% », selon la direction, mais a besoin de 600 millions d’euros pour se poursuivre.
L’incertitude grandit chez les 2.000 salariés des chantiers de MV Werften des villes de Stralsund, Rostock et Wismar, tous situés en Poméranie occidentale, une ancienne région est-allemande.
– Compte à rebours –
Un administrateur judiciaire, Christoph Morgen a été nommé. Sa mission : trouver un repreneur, et, surtout, « un nouveau client » pour le Global Dream.
Mais le paquebot a été pensé dans un contexte de croissance folle pour le secteur de la croisière, brutalement stoppéee par la pandémie.
Désormais, même si des « investisseurs ont fait part de leur intérêt », selon Christoph Morgen, trouver un acquéreur à bon prix pour un tel géant semble difficile, alors que la crise sanitaire n’est pas terminée.
Le compte à rebours est lancé : l’administrateur n’a que jusqu’au 1er mars pour trouver une solution viable.
La situation est observée avec attention par les autorités locales, pour qui la faillite a été un « choc, comme dans l’ensemble de la ville », car « de nombreuses familles sont dépendantes de cette usine, des générations y ont travaillé », affirme à l’AFP le maire social-démocrate (SPD) de Wismar, Thomas Beyer.
Les chantiers sont intimement liés à l’histoire de la cité : construits après la Seconde guerre mondiale, ils ont d’abord été destinés à réparer les bateaux de l’Armée rouge soviétique, avant de se diversifier dans les années 50.
La chute du Mur de Berlin et l’effondrement de l’industrie est-allemande, trop peu compétitive pour une économie libéralisée, ont entraîné des licenciements massifs.
Privatisés au début des années 90, ils ont ensuite vu se succéder une dizaine de propriétaires, allemands et internationaux, mais ont survécu aux secousses. Jusqu’à la pandémie de coronavirus.
– « Pas Wismar »-
Sur la place centrale de Wismar, bordée de petits immeubles colorés typiques des cités hanséatiques, Heike Reimann, 67 ans, s’inquiète de la possible disparition d’une activité emblématique.
« Wismar, sans son chantier naval, ce n’est pas Wismar », déplore cette habitante dont le mari, Siegfried, a travaillé dix ans dans l’entreprise.
Si aucun repreneur maritime ne veut investir, il faudra se résoudre à reconvertir le site dans « l’éolien off-shore », ou « l’hydrogène », deux industries d’avenir pour la transition écologique, observe M. Morgen.
Une perspective qui intéresse certains habitants : « est-ce encore judicieux de construire de si gros bateaux, avec le réchauffement climatique ? « , s’interroge Christian Bünger, 63 ans, croisé sur le port.
Mais cette option serait une catastrophe sociale, selon les syndicats.
« Pour un projet différent, il faudra des salariés avec des qualifications différentes », affirme Henning Groskreutz, syndicaliste IG Metall.
A la mairie, on refuse également ce scénario. « Nous devons garder notre industrie maritime, elle nous colle à la peau », dit Thomas Beyer.