L’impact sur la faune et la flore marine des chaluts qui ratissent aveuglément les océans est déjà bien documenté. Mais cette technique de pêche est aussi en train de « terrasser » littéralement le fond des mers, déplaçant des milliers de tonnes de sédiments marins sur de vastes étendues, selon une étude publiée mercredi.
Le chalutage de fond est pratiqué de longue date sur les « talus continentaux » de nombreuses régions du monde et cette pratique n’a cessé de s’intensifier pour compenser l’appauvrissement des ressources.
C’est notamment le cas en Méditerranée, au nord de la Catalogne, où Pere Puig et ses collègues de l’Université de Barcelone ont tenté d’en évaluer l’impact.
D’après leurs observations, des flux de sédiments massifs étaient mesurés, durant les jours de semaine et les heures ouvrables uniquement, sur les flancs du canyon sous-marin de La Fonera, très fréquenté par les chalutiers, à proximité du port de pêche de Palamos (nord-est de l’Espagne). Une quantité de sédiments à peu près équivalente à celle déplacée par les tempêtes et les pluies d’hiver, estiment les scientifiques.
En l’espace d’un peu plus de quatre mois de chalutage, cela revient à au moins 5.400 tonnes de sédiments envoyés vers le fond du canyon, quelques kilomètres plus bas.
10 millions de m3
—————–
En d’autres termes, les sédiments s’accumulent deux fois plus vite dans cette zone depuis les années 1970 et l’industrialisation de la flotte de chalutiers, indiquent les calculs de l’équipe de Pere Puig, publiés dans la revue britannique Nature.
Ces évaluations ont été confirmées par un relevé topographique du canyon qui « a révélé un lissage notable » au-delà de 800 mètres de profondeur sur le flanc nord du canyon. Une zone de plus de 40 km2 qui coïncide très précisément avec la route suivie par les gros chalutiers.
A l’inverse, les régions du canyon qui restent inexploitées ont conservé un réseau dense et complexe de petites vallées tortueuses dotées de nombreux escarpements.
Au total, ce serait 10 millions de m3 de sédiments qui auraient été arrachés au flanc du canyon par les chaluts en l’espace d’une quarantaine d’années, estiment les chercheurs. Un chiffre qui donne le vertige si on le rapporte à la surface des océans sillonnée chaque jour dans le monde par les flottes de chalutiers industriels.
« Nos résultats soulignent que le chalutage de fond n’altère pas seulement le flux de sédiments mais aussi la physionomie même du talus continental », provoquant une réduction drastique de l’habitat sous-marin qui risque d’affecter la diversité des espèces, concluent les chercheurs.
« On a comparé le chalutage de fond à la déforestation, mais nos travaux font plutôt penser à l’agriculture intensive » qui nivelle les sols.
« Sauf que les agriculteurs labourent leurs terres quelques jours par an, alors qu’en mer le chalutage peut être quotidien », insistent les experts.