Dix ans après l’importante réforme de la Politique commune de la pêche, des « transformations structurelles » sont indispensables pour réduire l’impact environnemental, tout en garantissant la rentabilité du secteur et sa neutralité carbone d’ici 2050, a reconnu le commissaire européen Virginijus Sinkevicius.
Un tiers des stocks est encore victime de surpêche dans l’Atlantique Nord-Est (contre quelque 70% dans les années 2000), quelque 85% des stocks en Méditerranée restent surexploités. L’obligation de débarquement de toutes les captures, visant à limiter les prises « accidentelles » rejetées en mer, reste peu appliquée selon Bruxelles.
Le « plan d’action » dévoilé mardi appelle donc les Etats à fixer leurs quotas de capture annuels de façon plus transparente et en respectant les niveaux maximaux recommandés par les scientifiques.
Surtout, les Etats seront tenus d’adopter des mesures pour « éliminer progressivement » d’ici 2030 le chalutage de fond dans les zones marines protégées (12% des eaux européennes actuellement, 30% visés d’ici 2030), quelle que soit leur profondeur.
Chaque pays devra établir sa feuille de route d’ici mars 2024. Bruxelles les évaluera, avant de proposer si besoin une nouvelle législation.
L’UE interdit déjà depuis 2016 le chalutage en-dessous de 800 m, pour aider à restaurer les écosystèmes vulnérables des fonds marins, dotés d’une riche biodiversité.
Mais l’usage d’engins de fond mobiles (chaluts, dragues, filets maillants, palangres, casiers…) « reste très répandu », dans 80% à 90% des zones exploitables de l’Atlantique Nord-Est et « dans de nombreuses sites +Natura2000+ et autres zones protégées », déplore l’exécutif européen.
De quoi compromettre les objectifs des Vingt-Sept en termes de climat et biodiversité: Bruxelles dénonce une pratique très gourmande en carburant et forte émettrice de CO2, qui en raclant les fonds détruit des écosystèmes constituant eux-mêmes des puits de carbone, fragilise les populations de poissons qui s’y reproduisent, et favorise des prises accidentelles « disproportionnées » faute de sélectivité.
La Commission demande aussi aux Etats d’étendre les « zones marines protégées » pour atteindre l’objectif de 30% de l’espace marin fixé dans le plan biodiversité européen, et d’établir des limites aux prises accidentelles pour certaines espèces vulnérables (dauphin du golfe de Gascogne, marsouins, raies…).
– « Eliminer les subventions aux carburants fossiles » –
L’Alliance européenne pour la pêche de fonds (EBFA), qui représente 20.000 pêcheurs de 14 pays, juge que l’interdiction du chalutage dans les zones protégées mettra « en danger 7.000 navires » correspondant à « 25% des volumes débarqués dans l’UE et à 38% des revenus totaux de la flotte européenne ».
Cette mesure est « injustifiée » car « certaines zones ont été définies pour préserver des oiseaux et tortues » sans lien avec les fonds, et « le seul résultat sera de déplacer les efforts de pêche, accroissant le carburant consommé et les répercussions indésirables sur les stocks », voire inciter l’UE à importer davantage de poisson, insiste son président Ivan Lopez.
A l’inverse, l’ONG Oceana salue la mesure mais s’inquiète du calendrier, observant que l’UE tolérera le chalutage de fond encore sept ans dans les aires protégées.
Enfin, Bruxelles détaille son ambition de rendre les bateaux et engins de pêche moins gourmands en carburants et d’encourager leur passage aux énergies propres (hydrogène, biocarburants, électricité…), une « transition difficile et progressive » qui sera discutée « en coordination » avec Etats et pêcheurs.
Outre l’impact environnemental, l’objectif est de réduire la dépendance aux carburants fossiles: « Les prix du gazole marin ont plus que doublé en 2022, avec une facture énergétique équivalant à 35% des revenus du secteur, contre 13% en 2020 », a expliqué M. Sinkevicius.
Bruxelles appelle les Etats à « mieux utiliser les fonds européens » disponibles pour compenser les « impacts socio-économiques à court terme », moderniser les navires et financer la recherche.
« Une incitation économique et des sanctions financières sont clairement nécessaires pour pousser la décarbonation (…) Surtout il faut éliminer toutes les subventions aux carburants fossiles », encore massives dans le secteur, souligne Rebecca Hubbard, de la coordination d’ONG Our Fish.
En 2020, les 56.000 bateaux de pêche actifs dans l’UE (124.600 pêcheurs) avaient brûlé 1,9 milliard de litres de carburant pour ramener à terre 3,94 millions de tonnes de captures.
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