Onze mois après l’accord de commerce post-Brexit et alors que des négociations marathon se poursuivent jusqu’à vendredi soir, échéance fixée par Bruxelles à Londres pour régler cette question des licences, Annick Girardin estime que la patience des pêcheurs français a atteint ses limites.
« Si toutes les licences n’étaient pas accordées demain soir, la France demandera la réunion du conseil de partenariat », censé garantir l’application de l’accord post-Brexit, « pour constater le non-respect de sa signature par le Royaume-Uni », a déclaré la ministre lors d’une audition au Sénat.
« C’est là aussi que peuvent se décider des sanctions », a-t-elle précisé, ajoutant: « C’est la Commission qui portera le contentieux et les mesures de rétorsion si elles devaient être mises en application ».
« Nous avons obtenu 1.004 licences. Nous en attendons encore 104 (…) Ce n’est pas anecdotique, c’est capital: ce sont des pêcheurs, des familles. Un emploi en mer, c’est quatre emplois à terre », a-t-elle déclaré.
En vertu de l’accord signé fin 2020 entre Londres et Bruxelles, les pêcheurs européens peuvent continuer à travailler dans les eaux britanniques à condition de pouvoir prouver qu’ils y pêchaient auparavant. Mais Français et Britanniques se disputent sur la nature et l’ampleur des justificatifs à fournir.
– « Manoeuvres dilatoires » –
Tout en saluant à nouveau le travail constructif mené avec l’île anglo-normande de Guernesey, qui a délivré début décembre une quarantaine de licences, la ministre a déploré les « manoeuvres dilatoires » du Royaume-Uni au cours des onze mois écoulés depuis la signature de l’accord.
C’est dans la zone des 6-12 milles britanniques que manque désormais le plus grand nombre de licences françaises: « il manque encore 53 licences, dont 40 sont demandées pour des navires remplaçants » – de nouveaux bateaux achetés par les pêcheurs en renouvellement de leur flotte -, des dossiers dont Londres refuse pour le moment de considérer l’antériorité.
Les discussions sont aussi tendues avec Jersey, qui accorde ses licences au compte-gouttes, ce qui « pèse sur le moral des pêcheurs » et « entretient la tension », selon Annick Girardin. Paris attend encore 51 licences définitives du gouvernement de Saint-Hélier, dont en priorité celles demandées pour la dizaine de pêcheurs classés en « liste rouge », qui n’ont plus aucun accès aux eaux de Jersey alors que leur activité en dépend très largement.
La ministre de la Mer est longuement revenue sur les onze mois écoulés depuis la signature in extremis de l’accord post-Brexit, n’épargnant pas la Commission européenne: Il y a eu « beaucoup d’échanges pour remettre ce dossier en haut de la pile », « il a fallu que le président de la République se fâche », a-t-elle rappelé, tout en estimant qu’à la veille de la date butoir fixée par Bruxelles, la France et la Commission étaient « totalement sur la même ligne ».
Dans ce dossier de la pêche, le ton est déjà monté, frôlant la confrontation à plusieurs reprises: un blocus de Jersey par les pêcheurs français en mai dernier, qui avait entraîné l’envoi de deux patrouilleurs britanniques; une inflation des menaces françaises de sanctions en octobre; et plus récemment, le blocage par les pêcheurs français de ports et du terminal fret du tunnel sous la Manche, par lequel transitent 25% des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Europe.
Au-delà de la question des licences, celle des modalités de pêche et des quotas s’annonce aussi très dure. Les pêcheurs français, qui sont prêts à de nouvelles actions, seront particulièrement attentifs à la réunion des ministres européens de l’Agriculture et de la pêche, qui doivent négocier dimanche et lundi à Bruxelles des quotas de pêches pour 2022.