C’est le 2 janvier 1973, au lendemain de l’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté économique européenne (CEE), qu’était parti le premier navire de la toute nouvelle compagnie, un roulier baptisé le Kerisnel.
« Ce bateau, on était allé le chercher à Vigo, en Galice. Il était initialement prévu pour transporter des tanks en Israël », se souvient Jacques Coatanéa, 82 ans, ancien chef mécanicien, qui a participé à la première traversée ainsi qu’à celle des 50 ans.
Aménagé pour transporter des camions, le Kerisnel vogue alors entre Roscoff (Finistère) et Plymouth (Devon) avec une cargaison constituée de choux-fleurs, d’oignons et de cognac. « A l’époque, on nous appelait la compagnie des choux-fleurs car on ne transportait que ça », sourit Joseph Gidouin, ancien chef mécanicien de 79 ans.
Car la compagnie a vu le jour grâce à l’entêtement d’une poignée d’agriculteurs du Nord Finistère, au premier rang desquels Alexis Gourvennec, qui souhaitaient trouver de nouveaux débouchés sur le marché britannique.
« La compagnie est née d’un élan de révolte de l’agriculture bretonne: l’Europe s’agrandissait mais les marchés s’éloignaient tout le temps », raconte Jean-Marc Roué, agriculteur et président du conseil de surveillance de BF, en évoquant le combat de l’époque: « désenclaver la Bretagne ».
La Sica de Saint-Pol-de-Léon (Finistère), coopérative légumière bretonne, met la main à la poche pour acheter le premier bateau, avec l’aide de ses adhérents, dont certains vont jusqu’à hypothéquer leurs exploitations agricoles pour rassurer les banques, raconte M. Roué.
« Le pavillon breton flottait à l’avant du bateau », se souvient Joseph Gidouin. Et « en Cornouailles (anglaises), ils étaient contents de nous accueillir. Car eux aussi étaient un peu délaissés par Londres, comme nous par Paris », abonde Jacques Coatanéa.
– Douze passagers –
En 1973, le petit Kerisnel ne peut alors transporter que quelques camions et seulement douze passagers. « Il y avait de petites cabines sur le pont. Nous mangions avec les officiers », décrit Anne-Marie Elleouet, 73 ans, qui a emprunté la liaison à cette époque.
Mais, très vite, la compagnie acquiert un deuxième navire qui peut embarquer 300 personnes. « Ils se sont aperçus qu’il y avait un marché pour les passagers », remarque Jacques Coatanéa.
Cinquante ans après, Brittany Ferries achemine toujours des choux-fleurs (une douzaine de camions lundi entre Roscoff et Plymouth) mais son modèle économique a radicalement changé.
La petite compagnie est devenue le premier employeur de marins en France. Douze navires assurent des liaisons entre quatre pays européens (France, Royaume-Uni, Irlande et Espagne). Et l’un des plus grands d’entre eux, le Pont-Aven, sur lequel a eu lieu la traversée anniversaire, peut embarquer plus de 2.400 passagers.
En 2019, dernière année avant le Covid, Brittany Ferries a ainsi fait voyager 2,4 millions de personnes (1,8 million en 2022), dont 80% de Britanniques.
« Les liens forgés par Brittany Ferries durant les 50 dernières années ont aidé à enrichir notre région du sud-ouest (du Royaume-Uni) de tellement de manières. Économiquement et culturellement, cela a été un vrai bénéfice », a salué Sue Dann, Lord Mayor de Plymouth, au cours du dîner anniversaire.
La crise sanitaire a cependant bien failli entraîner la faillite de la compagnie, du fait de l’écroulement du trafic. Mais les aides de l’Etat français et des régions Bretagne et Normandie lui ont permis d’éviter le dépôt de bilan.
Le Brexit, effectif depuis janvier 2021, risque lui de peser plus lourdement avec son lot de tracasseries administratives: passeports obligatoires pour voyager, contrôles douaniers, etc. « C’est environ 15% d’échanges économiques en moins », estime M. Roué.
Pour tenter de relancer les échanges culturels, sportifs et linguistiques, la compagnie avait invité les comités de jumelage à sa traversée anniversaire. Mais les invités français n’ont pas été autorisés à mettre le pied à terre à Plymouth, tous n’étant pas pourvus de passeports.