Plusieurs yachts aux mains d’oligarques russes ont été saisis en Europe depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou fin février, mais la prise du « Shérérazade » serait incontestablement la plus spectaculaire si sa propriété était attribuée au maître du Kremlin.
Sa proue tournée vers la Méditerranée, le navire de 140 mètres de long, d’une valeur estimée à 700 millions de dollars (636 millions d’euros), repose en cale sèche à Massa, cité balnéaire huppée de Toscane (centre), dont l’arrière-pays conduit aux célèbres carrières de marbre de Carrare.
Il serait stationné là, dans le chantier naval de la société The Italian Sea Group, depuis plusieurs mois pour maintenance. Impossible de l’approcher. Aucun signe manifeste d’activité à bord, a constaté mercredi une journaliste de l’AFPTV. Des hommes s’affairent autour mais la marina est encore peu animée en cette période de l’année.
Comme tous les habitants ici, Cesare Cucurnia, un retraité de 83 ans, suit l’affaire de près. « On ne sait pas à qui il est, ni à qui il n’est pas. Sûrement pas à un pauvre. Probablement à Poutine », avance-t-il en se promenant sur le port.
Sorti des chantiers navals allemands Lürssen en 2020, le yacht offre deux plateformes pour hélicoptère, une piscine, un cinéma et une batterie anti-drones, croient savoir les administrateurs du site SuperYachtFan, qui se présentent comme des journalistes d’investigation.
Une enquête de la police financière italienne est en cours, qui pourrait rendre ses conclusions dans les jours à venir, a indiqué à l’AFP une source proche des investigations.
« Les actes d’enquête continuent. Nous sommes dans une phase d’approfondissement et c’est généralement plus compliqué. Il n’est pas toujours facile d’attribuer la propriété » d’un bateau, d’autant que les montages légaux en poupées gigognes rendent difficiles l’identification du véritable propriétaire ou bénéficiaire, a expliqué cette source.
– Changement d’équipage –
Selon des informations de presse, le « Shéhérazade », qui bat pavillon des îles Caïman, appartient à une société enregistrée aux îles Marshall. Son capitaine est britannique mais le reste de l’équipage était russe – du moins jusqu’à récemment-, affirme l’équipe du dissident russe Alexeï Navalny qui, dans une vidéo postée sur YouTube lundi, attribue ce monstre des mers à Vladimir Poutine. Elle se fonde notamment sur une liste d’hommes d’équipage comportant plusieurs membres du FSO, le service fédéral russe de protection des personnalités.
Coïncidence ou manoeuvre désespérée pour dissimuler l’origine du bateau, tout l’équipage a été remplacé ces derniers jours.
« L’équipage était exclusivement composé de personnel russe. Et tout à coup, tout le personnel a été échangé pour un équipage de nationalité britannique », explique à l’AFP Paolo Gozzani, secrétaire général de la confédération syndicale CGIL à Massa. Le syndicat s’inquiète des répercussions des sanctions sur l’économie et l’emploi de la ville, villégiature de nombreux Russes fortunés.
D’après le quotidien américain New York Times, Washington a bien recueilli des indices associant le président russe au luxueux navire, lequel aurait effectué deux voyages, en 2020 et 2021, vers la station balnéaire russe de Sotchi, sur les rives de la mer Noire.
Faux, rétorque The Italian Sea Group. « La propriété du +Shéhérazade+ ne peut être attribuée au président russe Vladimir Poutine », a réagi dans un communiqué l’entreprise, qui dit s’appuyer sur « la documentation en sa possession et les résultats des vérifications menées par les autorités compétentes ».
Le capitaine du « Shéhérazade », interrogé par le New York Times, a déclaré n’avoir jamais vu le président russe à bord, sans toutefois vouloir identifier son propriétaire, expliquant être lié par son devoir de réserve.
Dans une adresse au Parlement italien mardi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé l’Italie à saisir tous les biens financiers et immobiliers des oligarques, « du Shéhérazade au plus petit » navire. Sans identifier le propriétaire du méga-yacht.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions annoncées par l’Union européenne, les autorités italiennes ont saisi 848 millions d’euros d’actifs appartenant à des oligarques russes, dont le « Sailing Yacht A », un gigantesque voilier d’une valeur de 530 millions d’euros appartenant à Andrei Melnichenko, magnat multimilliardaire du charbon et de l’engrais. Rome a aussi saisi le yacht « Lady M Yacht » d’une valeur de 65 millions d’euros appartenant à Alexei Mordashov, réputé proche de Vladimir Poutine.
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