RETOUR SUR – Il y a 60 ans, la première arrivée triomphale du « France » à New York

Paris, 28 jan 2022 (AFP) – Le 8 février 1962, le prestigieux navire « France » faisait une entrée triomphale dans le port de New York, sous la clameur des sirènes, bouclant sa première traversée transatlantique.

Cet emblème des « trente glorieuses » françaises, qui finira à la ferraille en Inde en 2008, s’attire alors tous les superlatifs: « le plus long, le plus récent, le plus luxueux » des paquebots reliant l’Europe à l’Amérique, décrivent les dépêches AFP de l’époque.

Parti du Havre le 3 février, le navire s’engage dans la baie de New York à l’heure prévue cinq jours plus tard, à 9h45 locales, malgré de gros grains pendant la traversée. Il a parcouru en 101 heures les 3.000 milles marins (5.556 km) séparant Bishop Rock (à l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre) du bateau-phare Ambrose, à une vitesse moyenne de 29,7 noeuds (55 km/h).

« Nous avons essuyé une véritable tempête pendant douze heures avec des creux de 14 mètres. Mais grâce à la vitesse du France, nous avons rattrapé le temps perdu », se félicite le commandant Georges Croisile, assailli de questions par les centaines de reporters venus de tout le pays.

Le paquebot est quasi indemme: « les hublots brisés avaient été remplacés par l’une des portes vitrées du grand salon, défoncée » par la tempête, écrit l’envoyé spécial de l’AFP.

Dans sa lente remontée du fleuve Hudson, le navire aux célèbres cheminées rouges et noires à ailerons est escorté par « une imposante flottille de bâtiments divers (…) Dans le ciel complètement couvert, d’innombrables hélicoptères de la police et des garde-côtes, des avions privés et des hydravions de l’aéronavale » l’accompagnent.

– Coincée dans un ascenseur –

« Une minute avant l’arrivée devant la statue de la liberté, les sirènes du France retentissent. Tous les remorqueurs et autres bateaux dans le port lui répondent dans un bruit assourdissant ». Les bateaux-pompes municipaux crachent des gerbes d’eau, un accueil traditionnellement réservé aux paquebots qui entrent pour la première fois dans le port de New York.

Parmi les 1.727 passagers massées sur les ponts, se pressent des célébrités, dont le romancier Joseph Kessel et la chanteuse Juliette Greco. Un « passager clandestin », un journaliste monté en douce et découvert peu après le départ du Havre, a été « gardé à vue » pendant la traversée.

Le navire accoste à 13h00 locales (19h00 en France) sur le quai de la « Compagnie générale transatlantique » (la « French line »), tous les immeubles voisins pavoisés de bleu-blanc-rouge. Une fanfare municipale entonne la Marseillaise devant les milliers de new-yorkais venus assister au spectacle dans Battery Park, à la pointe sud de Manhattan.

Mis à l’eau le 11 mai 1960 aux chantiers de Saint-Nazaire en présence du général de Gaulle et de son épouse Yvonne, le France mesure 316 mètres de long, peut accueillir plus de 2.000 passagers en première classe ou classe touriste, propose deux piscines, une nursery, une grande bibliothèque, toutes ses cabines sont climatisées.

Ses parties communes aux meubles en formica, matériau star des années 1960, sont ornées de tapisseries abstraites et de lithographies de Picasso, Braque ou Dufy.

Lors de son voyage inaugural aux îles Canaries en janvier 1962, sa marraine Yvonne de Gaulle avait subi une petite mésaventure, brièvement coincée dans un ascenseur au moment de débarquer à Tenerife.

– Rebaptisé « Norway » –

Inauguré en période faste, le France est vite confronté aux impératifs économiques. Concurrencé par le « Queen Elizabeth », puis par l’essor du transport aérien, ce gros consommateur de mazout reçoit le coup de grâce avec le choc pétrolier de 1973.

Le 30 octobre 1974, l’exploitation du paquebot déficitaire est arrêtée après 377 traversées de l’Atlantique Nord, le gouvernement ayant décidé de ne plus le subventionner. « Ne m’appelez plus jamais France, la France elle m’a laissé tomber », chante Michel Sardou dans un tube aux accents patriotiques.

A l’abandon sur un quai du Havre, le France est racheté par un homme d’affaires saoudien puis, en 1979, par un armateur norvégien qui le rebaptise « Norway » et l’affecte aux croisières dans les Caraïbes.

Après l’explosion d’une chaudière qui tue huit marins à Miami (Floride), le Norway, devenu propriété d’un groupe malaisien, est désarmé en 2003 puis démantelé cinq ans plus tard en Inde.

Parmi ses quelque 600.000 passagers entre Le Havre et New York, le mythique « palace flottant » aura transporté Salvador Dali, Alfred Hitchcock ou Audrey Hepburn…

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