Reprenant le nom du dieu grec Hephaistos régnant sur les forges et la métallurgie, Hefais (Haute école de formation en soudage) accueille ses 40 premiers stagiaires depuis la rentrée, dont 22 demandeurs d’emploi.
Basée provisoirement à la Hague dans le Cotentin, berceau de la filière nucléaire civile et militaire, l’école doit former 200 personnes par an à partir de 2023 dans un bâtiment définitif à Cherbourg.
« Il y a urgence, car nous sommes sur des développements industriels majeurs dans les prochaines années » avec les projets de six nouveaux réacteurs EPR et des futurs sous-marins de dernière génération, indique en recevant la presse David Le Hir, directeur de la centrale de Flamanville 1 et 2, et président de Hefais.
Alors que la France est menacée de coupures d’électricité par manque de capacité de production d’électrons cet hiver, EDF est surtout confrontée au défi de remettre d’urgence en activité une partie de ses réacteurs immobilisés par des microfissures découvertes à proximité de cordons de soudure sur certaines tuyauteries.
– 7.000 soudeurs recherchés en France –
Le phénomène appelé « corrosion sous contrainte » a précipité la « crise historique » traversée par l’électricien français, selon son nouveau PDG Luc Rémont.
Au passage, EDF a aussi dû gérer la reprise d’une grosse centaine de soudures, parmi lesquelles douze difficiles d’accès car traversant une épaisse enceinte de béton à l’EPR de Flamanville, dont le chantier de construction du 3e réacteur accuse onze ans de retard et des dépassements budgétaires astronomiques.
Dans l’urgence, des soudeurs nord-américains spécialisés de Westinghouse ont été recrutés en plus des 500 soudeurs déjà mobilisés.
Hefais entend désormais former les « meilleurs soudeurs et soudeuses de France ». Ils auront accès à des postes en réalité augmentée ou virtuelle. Et ils souderont pour de vrai dans des environnements exigus, comme des morceaux de bateaux ou des tuyauteries de centrales. Ce qui devrait « accélérer leur employabilité », estime Corentin Lelièvre, le directeur de l’école.
EDF, qui dispose de « très peu » de soudeurs en propre et s’appuie sur un réseau de sous-traitants, « réfléchit à lancer une filière de soudeurs en interne » pour gérer les imprévus, a indiqué M. Le Hir.
L’école, dont l’investissement total s’élève à quelque 10 millions d’euros financé aussi par la région et l’agglomération du Cotentin, est ouverte aux demandeurs d’emploi pour des formations de neuf mois, et aux salariés de la métallurgie désireux de se reconvertir ou de se perfectionner. Elle se rapprochera aussi d’établissements scolaires de la région.
Mais elle ne pourra pas à elle seule répondre au « besoin colossal ». « 7.000 offres » de recrutement sont recensées par Pole Emploi, souligne M. Lelièvre. Et les rémunérations n’ont pas encore suivi la forte pression de la demande.
– « Bien faire du premier coup » –
La seule filière nucléaire estime ses besoins à 1.000 par an d’ici 2030. Elle cherche aussi des tuyauteurs, des chaudronniers. Métier par métier, ses besoins seront rendus publics en mars.
« Soudeur, c’est un métier d’acrobate, on est souvent avec un bras parti ailleurs, le dos appuyé sur une tuyauterie, il faut adopter la meilleure position, celle où on sera le mieux, car une fois que la soudure est commencée, on ne peut plus arrêter » sous peine de faire des erreurs fatales, explique Dominique Y-Tot, un ancien du chantier de construction du Queen Mary devenu formateur.
Accroupi sur un coussin de cuir, la tête penchée sous un gros tuyau, Jawad Zaroual est entouré de sa pince coupante, d’une brosse métallique, et d’un tuyau qui amène l’argon, le gaz permettant des soudures de l’inox parfaites et résistantes.
« Je savais déjà souder l’inox, le métal que l’on trouve quasiment exclusivement dans les centrales nucléaires », explique ce salarié d’Onet technologies, sous-traitant d’EDF, « mais là j’apprends à souder de manière à pouvoir rattraper moi même si je fais une erreur » dit-il, en répétant le mantra du secteur: « bien faire du premier coup ».
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