Au centre du débat, les « dispositifs de concentration de poissons », ou DCP, contre lesquels Greenpeace fait farouchement campagne depuis quelques semaines. Les thoniers français espèrent mettre le sujet sur la table la semaine prochaine lors de la réunion annuelle de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA), à Gênes.
Les DCP sont des sortes de radeaux flottants munis de petites cavités qui attirent les poissons qu’y viennent s’y réfugier.
Les pêcheurs surveillent ensuite ces radeaux, parfois à l’aide de GPS, et déploient autour des filets de plusieurs kilomètres, les sennes, qui ramassent alors toutes les espèces sans distinction, avec parfois des requins, des tortues, ou de jeunes thons.
Autre problème, cette technique permet de pêcher bien plus de thons à la fois que sur « banc libre », une menace pour la bonne santé des stocks de thons, surtout d’espèce albacore, qui vivent dans les eaux tropicales de l’Atlantique et de l’océan Indien, selon Greenpeace.
Tout en étant moins alarmistes que l’ONG, et sans vouloir supprimer complètement les DCP, les pêcheurs français ont pris conscience il y a quelques années qu’il était temps d’adopter des méthodes de pêche moins voraces.
Frédéric Lahuec, qui sillonne l’Atlantique depuis vingt ans sur un navire Saupiquet, reconnaît que le poisson est moins abondant qu’avant.
« C’est sûrement lié en partie aux DCP, même si le changement climatique joue aussi (…) On atteint un point où il faut réguler car l’effort de pêche est à son apogée », explique-t-il.
Forts de ce constat, les thoniers tropicaux français ont décidé en 2011 de limiter le nombre de DCP qu’ils utilisent à 150 par bateau. Certaines flottilles étrangères en utilisent dix fois plus.
– « Désaccord total » avec l’Espagne –
« Notre motivation est avant tout économique », reconnaît volontiers Yvon Riva, président de l’organisation Orthongel qui regroupe les 22 thoniers tropicaux des trois armements français existant (CFTO, Saupiquet, Sapmer).
Leur objectif: protéger les poissons aujourd’hui pour pouvoir encore les pêcher demain.
« C’est une dynamique qui va dans le bon sens, une démarche difficile et courageuse politiquement », salue François Chartier, chargé de campagne pêche pour Greenpeace.
« C’est notre intérêt sur le long terme, pour la durabilité de l’activité. D’autant plus que les investissements sont lourds, 30 millions d’euros pour un bateau », souligne M. Riva, qui était à Bruxelles la semaine dernière pour convaincre l’Union européenne d’aborder le sujet lors de la réunion de la CICTA.
Mais la partie est loin d’être gagnée, car les pêcheurs espagnols, l’autre grande flotte européenne, « sont dans une logique inverse », remarque François Chartier.
L’utilisation de DCP, environ 1.000 par bateau, permet aux bateaux espagnols de pêcher 2 à 4 fois plus de thons que leurs collègues français, calcule Greenpeace.
Sollicitée par l’AFP, la confédération espagnole de la pêche n’a pas souhaité se prononcer sur le sujet.
L’enjeu économique est considérable en Espagne, où plus de 43.000 emplois directs et indirects dépendent de cette pêche, selon la confédération Cepesca.
Pour François Chartier, il est donc « impossible » qu’une résolution sur le sujet passe par l’UE car « il y a désaccord total entre l’Espagne et la France ». La solution pourrait donc venir d’un pays côtier concerné par la pêche au thon.
Vendredi, le site internet de la CICTA faisait justement état d’une proposition de recommandation déposée par le Sénégal sur « l’encadrement du nombre de DCP utilisés par les senneurs ».
Le temps presse, car l’impatience monte parmi certains patrons pêcheurs français, face à une concurrence qui ramasse bien plus de poissons qu’eux.
« On ne va pas pouvoir tenir longtemps cette position sage », prévient Yvon Riva.
Pourtant, il reste encore du chemin à faire, estime Greenpeace. Il faudrait par exemple limiter la construction de nouveaux bateaux prévue par certains armements français.