Des experts affirment que l’administration Biden et les rebelles Houthis du Yémen, ainsi que les soutiens de ce groupe en Iran, sont tacitement entrés dans un accord délicat et dangereux. A savoir que chacun pense avoir besoin d’user de la force tout en supposant que l’autre ne voudra pas d’escalade.
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a effectué quatre tournées au Moyen-Orient depuis que le Hamas a lancé une attaque contre Israël le 7 octobre, provoquant des représailles massives à Gaza. Pour lui, endiguer le conflit est une priorité.
Des responsables américains disent en privé penser que le Hezbollah libanais, qui est également soutenu par l’Iran, a compris le message.
Les Houthis, eux, ont défié les mises en garde américaines en visant continuellement des navires internationaux, en solidarité avec les Palestiniens, perturbant le commerce mondial en mer Rouge et contraignant les bateaux à de longs détours par l’Afrique.
Lors de sa dernière tournée, M. Blinken a informé ses partenaires régionaux des frappes américano-britanniques de vendredi contre les Houthis, qui se sont produites alors qu’il était dans l’avion de retour vers Washington. Il leur a dit que les Etats-Unis considéraient ces frappes comme défensives, et non pas comme une nouvelle salve dans une guerre régionale.
« Je ne pense pas que le conflit s’intensifie. Il y a beaucoup de points dangereux, nous essayons de gérer chacun d’entre eux », a dit Antony Blinken à la presse au Caire jeudi.
De son côté, Joe Biden, dans le communiqué annonçant les frappes, n’a pas fait mention de l’Iran, bien que les Etats-Unis ont par le passé accusé Téhéran de fournir les moyens nécessaires aux attaques des Houthis. Une omission qui laisse entendre que la puissance régionale n’est probablement pas dans la ligne de mire des Etats-Unis.
Et samedi, la chaîne Houthie al-Masirah a fait état de nouvelles frappes américaines sur au moins un site de la capitale yéménite, Sanaa.
– « Tolérance à la douleur » –
Après des efforts diplomatiques de l’ONU et des Etats-Unis, une trêve tient depuis avril 2022 au Yémen entre les Houthis et le gouvernement reconnu par la communauté internationale et appuyé par l’Arabie saoudite. La guerre a provoqué l’une des pires crises humanitaires dans le monde.
Selon Michael Knights, un expert du Washington Institute for Near East Policy qui a étudié les Houthis, les rebelles sont très conscients du fait que les Etats-Unis ne souhaitent pas détruire la fragile paix au Yémen, pays le plus pauvre de la péninsule arabique.
Les Houthis ont « une très forte tolérance à la douleur » après des années de combats et les frappes sur leurs installations de tirs de missiles n’affecteront probablement pas leur emprise sur le pouvoir au Yémen, a-t-il dit.
« Ils ont beaucoup de liberté pour faire ce qu’ils entendent faire, et effectuer un pied de nez à la plus grande puissance mondiale, et ils sont un peu dans un état d’euphorie, grisés par ce moment », a-t-il ajouté.
Il a dit s’attendre à ce que les Houthis mettent un terme à la confrontation en même temps que se terminera la guerre à Gaza, même si Israël a promis de ne pas relâcher sa campagne visant à éradiquer le Hamas.
« Ce que les Etats-Unis essaient de faire, c’est de forcer les Houthis à céder avant que le conflit à Gaza ne prenne fin, et c’est probablement impossible », a-t-il conclu.
– Pas « inévitable » –
Pour Sarhang Hamasaeed, directeur du programme Moyen-Orient du US Institute of Peace, les Houthis voient la confrontation comme une manière « gérable » de renforcer leur visibilité dans la région.
« Mais il est très possible que des pertes de vies humaines d’un côté ou de l’autre puissent pousser un côté à une escalade, et cela pourrait continuer la réaction en chaîne et (aboutir à) une confrontation plus régionale », a-t-il dit.
« Je crois que les principaux acteurs ne le veulent pas, mais cela ne signifie pas que cela soit inévitable », a-t-il ajouté.
Jon Alterman, un responsable du Centre pour les études internationales et stratégiques, a écrit dans une analyse que l’Iran était probablement « ravi » par les attaques Houthis contre des navires internationaux, Téhéran pouvant « profiter des avantages sans en payer le coût ».
D’après lui, ce serait une erreur cependant de penser que l’Iran est en train de diriger les attaques; et malgré les dégâts économiques, il a dit douter que les attaques des Houthis puissent causer une guerre plus large au Moyen-Orient.
« Aucune des deux parties ne cherche à avoir une guerre totale », a-t-il affirmé.