D’Observation Hill à « Ob Tube »  

Adam avait besoin d’un compagnon de randonnée de confiance pour se rendre au sommet d’Observation Hill. Il a le vertige… mais il ne me l’a pas dit ! Observation Hill (Ob Hill) culmine à 220 mètres et offre une vue imprenable sur la banquise, le volcan Erebus, les îles blanches et noires, Castle Rock, la base Scott (NZ) et bien sûr McMurdo, Hut Point, sans compter tous ces merveilleux sommets et montagnes dont j’ai déjà oublié le nom. De son sommet, malgré le fait que tout semble plus près sur la glace, on peut mesurer la taille du continent, de la mer de Ross, et deviner facilement que toutes les collines et montagnes autour de nous sont volcaniques. Le mont Erebus est le seul assez provocateur pour le montrer avec un panache de fumée permanent s’élevant de son cratère. 

Les premiers explorateurs ont également laissé leurs marques au sommet de Ob Hill. Une grande et solide croix de bois y a été érigée que l’on peut voir de la mer. C’était le but en 1913 lorsque les survivants de la deuxième expédition britannique Scott l’ont construite à bord de leur navire avant leur retour en Angleterre. Scott est arrivé second au pôle Sud après le suédois Amundsen. Tout son groupe a péri de froid et de faim sur le chemin du retour, à 13 miles de l’un de leurs dépôts de nourriture. La croix porte les noms des défunts (Oates, Bowers, Scott, Wilson, Evans) et la citation de Tennyson tirée d’ « Ulysse » : « Travailler dur, chercher, trouver et ne pas céder ». La croix est toujours là et sa gravure un peu effacée mais lisible. 

La montée est raide et étroite, sur une crête, et le chemin n’est qu’un sentier de chèvre entouré de morceaux de lave brisés. Ajoutez à cela de la neige glacée et vous comprendrez que ce n’est pas la sente la plus stable ni la plus sûre. Plus Adam montait et plus il s’accroupissait, finissant souvent à quatre pattes. J’ai rapidement compris qu’il n’avait pas beaucoup d’expérience en alpinisme. Il vient de Floride ! Et ses chaussures n’étaient pas à la hauteur de la tâche. Je le conduis au sommet, lui montrant le chemin, ou caler les pieds, les rochers à toucher ou à tenir pour l’équilibre et la sécurité. Et il est arrivé au sommet ! Je n’ai pas réussi à le convaincre à se lever là-haut, mais j’ai quand même admiré son courage. Je n’ai pas gâché ce moment de victoire en lui disant que descendre serait encore plus difficile. Nous avons tout de même passé en revue les fondamentaux : ne jamais regarder en bas, ne jamais faire face à la pente, zigzaguer autant que possible, toujours garder une marge de sécurité des deux côtés, comme ça, en cas de chute, ce n’est pas le grand vide et l’on n’a pas besoin d’apprendre à voler… et nous sommes descendus. Il l’a fait, trop souvent sur le dos et glissant sur les fesses mais il l’a fait sans un mot, sans se plaindre. 

Bientôt, nous atteignons une zone plate reliée à une route, au-dessus de la base. Deux plates-formes en bois sont encore en place. C’est le site d’une expérience nucléaire américaine. Ob Hill a été choisi comme site d’une centrale nucléaire « portable » dans les années 1960. La centrale nucléaire PM-3A était de la taille d’un conteneur et conçue pour être transportée par des avions C130. Elle a commencé à produire de l’électricité en juillet 1962. L’objectif était de remplacer les générateurs diesel, mais la fiabilité de la centrale nucléaire n’était pas bonne, elle nécessitait trop d’entretien, et demandait trop de main-d’œuvre. Peu de temps après ses débuts, une usine de dessalement (la première à McMurdo) a été construite à proximité. Utilisant la chaleur générée par le réacteur nucléaire, la station a fonctionné dix ans et a été fermée en 1972 en raison de fuites de liquide de refroidissement. Elle a été totalement démantelée et transportée en Californie pour un recyclage approprié, avec tout ce qui avait été contaminé sur le site. Heureusement pour l’Antarctique et McMurdo, cette centrale n’a pas été construite à Hut Point où se trouve toujours la cabane de Scott, comme prévu à l’origine ! 

Juste en dessous de la plate-forme en bois, nous sommes allés voir quelques vieux tracteurs semi-remorques qui ont connu des jours meilleurs. Ils sont toujours impressionnants et imposants en orange et vert kaki. Ils datent du milieu des années soixante, appartiennent ou avaient appartenu à la Marine. Ils ont de gros pneus, d’énormes pare chocs à l’avant ou des supports pour chasse-neige et ils sont rustiques : moteur diesel, 5 vitesses, 6×6, d’apparence puissante avec un gros tuyau d’échappement vertical. Je peux en conduire un sur la glace… s’il vous plaît ? Je me demande ce qu’ils font ici, loin de la casse, un peu cachés de la base. Trop gros pour être mis au rebut et renvoyé aux États-Unis ? Je finirai par découvrir qu’ils sont en fait toujours utilisés, une fois par an. Lorsque les 2 cargos qui suivent le brise-glace en décembre viennent décharger le gros des approvisionnements sur notre jetée de glace, ces monstres reprennent vie et tractent les remorques chargées de marchandises, faisant des allers-retours du bateau aux entrepôts, sans arrêts ! J’ai hâte de les voir et de les entendre, peut-être faire du stop et y trouver une place en cabine ! 

Nous sommes de retour pour un dîner à 15h. Il ne faisait pas trop froid pour monter et descendre Ob Hill et nous avions laissé nos vestes « froid extrême » (ECW) en bas. Mais lors de l’exploration du site nucléaire et de la visite du parc à camions, nos corps se sont refroidis et nous avons eu froid. C’est pourquoi nous avons faim maintenant ! De plus, dans quelques heures, c’est à nouveau l’heure de l’observation… dans Ob Tube, le tube d’observation. 

Ob Tube est un tube étroit qui plonge à travers la glace sur une longueur d’environ 4 mètres avec, à son extrémité, une sorte de compartiment vitré, ouvert sur la mer, dans lequel on peut s’asseoir. Il est maintenu à la surface par deux barres métalliques horizontales. On y descend par des marches/poignées métalliques puis par une courte échelle de corde qui amène dans le compartiment d’observation vitré. Comme pour tout ce qui se fait à McTown, il faut suivre une formation spéciale avant d’être autorisé à y entrer. Il y a en effet des contraintes de taille mais aucune interdiction formelle. A chacun de comprendre ces avertissements subtils : l’Ob Tube n’est pas accessible à tout le monde et même inaccessible pour certains. Mais les Américains, toujours aussi gentils et sensibles, ne vous diront jamais que c’est parce que vous êtes trop gros ou trop grand ! Résultat, l’équipe de recherche et de sauvetage (SAR) de la base a dû, par deux fois, venir aider deux personnes coincées à la remontée du tube. J’y suis allé avec trois collègues. J’avais hâte de descendre sous la glace. Ouvrir la trappe et se glisser dans le tube est assez facile. C’est toutefois clairement étroit. Sans espace suffisant pour plier les bras et les jambes, il faut rester aussi droit que possible pour descendre les marches-poignées. Mais pas de problèmes pour descendre. Remonter nécessite en revanche une certaine force du haut du corps en raison de l’espace limité pour tirer ou pousser. Arrivé en bas, l’écoutille fermée, je me suis assis dans le noir et ai découvert un spectacle tout simplement merveilleux. Tout autour, le soleil permanent illumine la glace qui est d’un blanc éclatant près de la surface. Vers le bas, elle revêt diverses nuances de vert avant de se perdre dans la profondeur et l’obscurité de la mer. Il ne fait pas froid. C’est calme. Au fur et à mesure que mes yeux s’adaptent à l’obscurité, je commence à voir des choses bouger, un poisson, un phoque, des mollusques… avec en fond sonore, les vocalises des phoques de Weddell qui se répondent. Je pourrais vivre dans ce tube, en faire ma maison ! 

Il est temps de rentrer. Je suis ici depuis près de deux mois maintenant et la routine prend le dessus. 9 heures de travail par jour (minimum), 6 jours par semaine, beaucoup de règles de sécurité, beaucoup de travail, peu de loisirs. Mais le temps libre en vaut la peine. Thanksgiving approche et je me suis inscrit pour le Turkey Trot de 5 kilomètres (le cross de la dinde), et pour nettoyer les tables du réfectoire, de 20h à 21h, le samedi 26 novembre. Nous aurons un week-end de deux jours. Super !!! 

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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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