Les missions scientifiques de McMurdo

Je n’avais pas encore parlé de science dans ce blog car son objectif était prioritairement de décrire ma vie et mon expérience personnelle sur la base antarctique US de McMurdo. Mieux vaut tard que jamais…

Pour ma part, je n’ai effectué aucune tâche scientifique. En revanche j’ai soutenu la science, les systèmes d’information et la connectivité pour les personnels travaillant sur la glace et dans les laboratoires du bâtiment Crary. J’ai aussi eu l’occasion d’aider une équipe à récupérer et à remplacer des capteurs sismiques électroniques défectueux.

La raison d’être de ces trois bases américaines en Antarctique que sont Palmer, McMurdo et le Pôle Sud, est bien, en effet, le soutien de toutes les expéditions scientifiques qui se déroulent sur le septième continent. Je vais, ci-dessous, en énumérer quelques-unes.

Pour l’été austral 2022-2023, 70 projets scientifiques étaient prévus. Certains ont été annulés en raison d’une résurgence de COVID en octobre et en novembre, d’autres en raison de mauvaises conditions météorologiques ou de problèmes mécaniques d’avion qui ont amené à repousser leur déploiement au-delà des prévisions.

T-150-M, T-312-M et les autres…

Le T-150-M était une opération de carottage dans la glace. Les scientifiques ont dû se rendre sur certains glaciers éloignés et forer suffisamment profond pour récupérer des échantillons de glace vieux de 3 000 ans ou plus. D’autres études exposeront ultérieurement les différents cycles de refroidissement et de réchauffement de la terre. Les bulles d’air emprisonnées dans les carottes de glace ainsi prélevées sont des témoignages vivants de ce qui est arrivé à notre planète.

B-031-M/N est une recherche collaborative sur la relation actuelle entre les prédateurs et l’environnement planctonique en Antarctique. L’ensemble de l’écosystème est lié, des manchots empereurs et Adélie, aux phoques de Weddell, orques et autres baleines, planctons et krills. Ils sont tous interdépendants et le déclin de la légine et du krill, surexploités, affecte l’équilibre entre proies et prédateurs.

T-312-M est une étude en continu du volcan actif Erebus et de son voisin Mt Terror. Tout un réseau de capteurs sismiques et autres dispositifs surveille leur activité et contribue à cartographier les cheminées et les entonnoirs souterrains. J’ai eu le privilège d’accompagner les scientifiques dans quatre missions sur la glace (dans un petit véhicule chenillé) pour récupérer des capteurs défectueux, et éventuellement revenir les remplacer.

I-185-M/S et d’autres missions COLDEX mènent des opérations géophysiques aéroportées et de surface pour achever de cartographier l’ensemble de ce continent dont certaines zones sont encore “inconnues”.

I-175-M/S a étudié la dynamique des glaces entre plaques Est et Ouest de l’Antarctique.

I-163-M a mesuré la déformation interne de la glace avec un radar à pénétration de glace multi-passe sur le glacier Thwaites et la plate-forme de glace McMurdo

Nous avons aussi la « Dry Valley » (« vallée sèche ») non loin de McMurdo. Si le continent est déjà l’endroit le plus sec de la planète, la « vallée sèche » est son désert. Mais des rivières et des lacs souterrains ont été découverts dans lesquels existe une vie bactérienne et une sorte de végétation. La « vallée sèche » est un lieu de recherche continu pour comprendre son existence et comment elle supporte une certaine vie.

L’A-123-M est installé au sommet de “Arrival Hill” qui domine McMurdo. La mission met en œuvre de puissants lasers dirigés vers le ciel pour mesurer la température, la composition, la chimie et la dynamique de l’atmosphère dans la région.

D-556-M est impliqué dans la cartographie des surfaces glaciaires et de la fonte des glaces

T-197-M est notre station au sol locale permanente de la NASA. Ses énormes dômes et radars surplombent McMurdo

L’A-145-M met en œuvre un ballon de longue durée (Long Duration Balloon) de la NASA, un énorme ballon télécommandé qui fait le tour du continent à très haute altitude équipé d’un système de haute technologie pour étudier l’atmosphère sous-orbitale avant de revenir à la base. Son lancement a été un grand événement pour le personnel de la base, diffusé en continu sur le réseau de télévision interne. Tout le monde a laissé tomber ce qu’il faisait pour y assister. Le ballon est si gros qu’on a pu suivre, très longtemps, à l’œil nu, son ascension. Plus il montait et plus il s’agrandissait pour finalement atteindre la taille d’une salle de gymnastique grandeur nature.

Site de lancement du ballon longue durée.

Pourquoi nous étions importants…

D’autres études ont porté sur les colonies de manchots Empereur et Adélie, les phoques de Weddel, la météo avec le déploiement et la maintenance de centaines de stations météo automatiques, le réchauffement climatique et l’effet des courants chauds sous-marins qui contribuent à la fonte des glaciers, les études GPS, l’histoire géologique du continent, les marées…

Pour la plupart d’entre nous — membres des équipes de soutien, mécaniciens, plombiers, charpentiers, électriciens, cuisiniers, stewards, membres des équipes de nettoyage, personnels de bureau et informatique —, tout cela n’était que de la fiction jusqu’à ce que nous assistions aux présentations scientifiques du dimanche soir dans le réfectoire. Là, dans un anglais simple et avec des photos et des vidéos, les intervenants nous ont fait voir et comprendre pourquoi nos emplois étaient si importants. Nous avons fini par envier les scientifiques et leurs équipes pour être allé au-delà de la virgule dans le « McMurdo, Antarctique », virgule qui nous a limités, nous les « roturiers des glaces », au carré marqué par Hut Point, Castle Rock, Scott Base et les aérodromes des glaces de Phoenix et Williams.

Pensez-y un instant ! Ils se sont déployés très loin sur la glace à l’aide d’hélicoptères, de petits avions ou de véhicules à chenilles. Ils ont déterré les motoneiges laissées sur place la saison précédente et les ont remises en marche. Ils ont creusé la glace pour mettre à jour les caches de carburant et de matériel, ont installé leurs tentes ou réactivé leurs huttes gelées. Ils ont réinitialisé les systèmes de communication puis ont commencé à travailler, à forer, à évaluer la population de manchots, à installer des stations météorologiques ou à récupérer des capteurs sismiques, à tester de nouvelles technologies et d’autres systèmes. Ils ont cherché un abri contre les tempêtes soudaines et se sont trouvés parfois coincés plusieurs jours dans leurs tentes pour finalement ressortir et creuser encore et encore pour remettre à jour ce que le blizzard avait recouvert.

Si la science vous semble high tech et cosy, elle n’est définitivement pas si confortable en Antarctique où des vêtements chauds, une bonne pelle, une forte volonté et beaucoup de combativité sont nécessaires pour accomplir la mission. C’est peut-être parce que j’ai plus de 60 ans mais j’ai été impressionné par ces « gamins », pour la plupart des boursiers envoyés par des universités, tous enthousiastes dès le premier jour. Pour moi, c’étaient des enfants. Ils avaient l’air d’enfants ! Mais là-bas, ils nous ont montré à quel point ils étaient matures, en s’entraînant, testant, emballant, utilisant des outils électriques et des étaux pour fabriquer les appareils dont ils avaient besoin, en chargeant des palettes, et en partant sur le terrain « la fleur au pic à glace ». Ils sont finalement revenus, souvent un peu plus maigres, un grand sourire posé sous la marque blanche de leurs lunettes de glaciers, le reste du visage brûlé par les vents froids, par notre soleil éclatant et son reflet sur la glace.

Eric CHEVREUIL

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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