Les pingouins !

Je sais, chez nous on dit « manchot » et pas pingouin, mais ils sont tellement mignons qu’ils ne méritent pas ce nom barbare qui les assimilent à des êtres privés de membres qu’ils devraient avoir. Pour être mignons, ils sont mignons, tout spécialement les Adélies, beaucoup moins pompeux et solennels que les Empereurs.

Bien sûr, on a aussi les phoques de Weddell, depuis le début. Ils étaient déjà là en octobre pour mettre bas et élever leurs progénitures durant l’été, pour que les veaux soient capables de survivre à l’hiver austral, au froid et à la nuit permanente. Mais ils sont gros et lents sur terre et seul leur « visage » est sympathique, malheureusement perdu dans un amas de graisse et de plis. Ils sont de plus misérables sur la glace, au ralenti… « ice slugs », c’est le surnom que je leur ai donné : les limaces de la glace. Je les vois par la fenêtre, rampant du montant droit au montant gauche… en une journée !  En revanche, sous l’eau, ils sont magnifiques…

Nos pingouins, eux, sont tellement actifs, encombrés de leur tuxedo (sorte de smoking, Ndlr) qui les fait ressembler à ces enfants en bas âge que l’on a mis sur leur 31 pour un mariage ou une autre cérémonie : mignons, la fierté de leurs parents…mais un peu ridicules.

Un groupe est arrivé peu après le brise-glace et s’est installé à Hut Point, au bord de la mer, en dessous de la hutte de Scott. Et vas-y que ça cavale en essayant de conserver l’équilibre, les ailerons à l’horizontale. A moins qu’ils n’essaient de décoller face au vent mais si c’est le cas, ils ne battent pas suffisamment des ailes ! Et vas-y que ça trébuche, et tourne en rond, peu indisposés par notre présence. Et ça te fais la cour, apporte un petit caillou a madame, se glisse dans l’eau sur le ventre, nage et fait le beau, ou la belle, surgissant à nouveau dans un court envol avec atterrissage forcé sur la berge, le fameux vol du pingouin. L’œil noir cerclé de blanc est bien visible au milieu de la tête noire de l’Adélie et lui donne un air inquisiteur. Mais son cri est moins impressionnant.

Les scientifiques qui viennent de rentrer du Cap Crozier nous ont fait un amphi hier. Tous les dimanches, à tour de rôle, ils nous présentent leurs recherches et leurs découvertes. Depuis les années 80, le nombre de manchots Empereur et Adélie, et le nombre de phoques de Weddell est en croissance continue. Juste ici, sur la mer gelée de Ross, les colonies de pingouins forme 30 à 40% de la population mondiale et la population de Weddell est la seconde au monde. La surface glacée de la Mer de Ross s’étend, alors qu’ailleurs en Antarctique la glace de mer diminue. Les vents sont la cause principale des basses températures ici et a priori la région est de plus en plus venteuse. Tous ces oiseaux et ces phoques se nourrissent principalement de Silverfish, une espèce de petit hareng abondante qui est aussi la proie favorite du Toothfish, un poisson qui peut vivre jusqu’à 50 ans, peser jusqu’à 100kgs pour les vieux adultes, et qui évolue entre 45 mètres et 3,850 mètres de profondeur. Ils sont aussi appréciés par les orques et les cachalots. Manque de chance pour ces poissons à la bouche énorme et pleine de dents (Toth : dents – Fish : poisson), ils sont aussi surpêchés par l’homme et leur population décline. Nous appelons ce poisson la légine, ou légine australe, et depuis vingt ans, l’administration de nos Terres australes et antarctiques française (TAAF) mène une lutte acharnée contre la pèche illégale dans nos eaux autour des iles Kerguelen et Crozet. Ce nouveau filon alimentaire pour les opérateurs peu scrupuleux et une population humaine en expansion toujours affamée, a contribué à la diminution du stock de légine. C’est un cercle infernal : les poissons capturés sont de plus en plus petits et il faut donc toujours en pécher plus. Moins de compétition pour nos pingouins et nos phoques, mais les cachalots et les orques paieront le prix de notre appétit destructeur, sans fin ni faim. Rien de nouveau. Nous faisons cela dans tous nos océans passant d’un poisson (à la mode) à l’autre dès que la source est épuisée. En fait, oui, il y a quelque chose de nouveau. Evolution ou adaptation ? Les orques et les cachalots ont compris ce que signifiait la proximité d’un bateau. Les lignes de pèche font des kilomètres de long et sont équipées de centaines d’hameçons espacés de quelques mètres. Pour nos mammifères marins, cela signifie une source alimentaire abondante et facile qui leur évite des plongées profondes et une chasse couteuse en calories et en énergie (photo). Cette nouvelle attitude est maintenant commune à toutes les eaux antarctiques, comme si orques et cachalots s’étaient passés le mot ! Pour les pécheurs légaux, c’est le désastre. Ils ont un contrôleur de pèche à bord et ne peuvent rien faire, à part déplorer la perte de 40 % de leurs captures par ligne. Pour les pécheurs illégaux, c’est la guerre et ils font tout pour se débarrasser des « prédateurs », n’hésitant pas à leur tirer dessus.

Au large de l’ile de Ross, en face de McMurdo, le navire scientifique Nathaniel B. Palmer vient d’arriver et le brise-glace est visible à la limite de la mer, derrière. Il reste encore pas mal de glace à briser et le quai de glace est enfin prêt à accueillir les bateaux. Un vieux pont Belay de la deuxième guerre a été érigé pour les camions qui vont faire la navette entre entrepôts et bateaux. Sous peu, McMurdo va être soumise à un flux d’activités (deux cargos à décharger et à charger) et près de 400 personnes supplémentaires vont y vivre. Ce sera aussi la période « sèche », sans alcool ! Cette période intense est aussi le temps ou, statistiquement parlant, le programme compte le plus d’hospitalisation et autres visites médicales. Les emplois du temps sont lourds et serrés. La fatigue, le stress, le niveau d’activité élevé…autant de facteurs qui contribuent à l’erreur, la négligence, l’accident. Le MCI auquel j’appartiens (Mass Casualty Incident) a terminé son entrainement et cette semaine nous allons tester encore notre système d’alerte par pager et emails.

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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