« Les changements observés doivent être replacés dans un contexte historique approprié »
Propos recueillis par Erwan Sterenn
* * *
Quel est la part de « certitude » que nous, profanes, devons avoir sur ce sujet si important du climat qui est au cœur de tous les débats ?
Il existe différentes certitudes sur différents sujets. Il est tout à fait certain que le climat change et que l’homme exerce une influence sur ces changements. La manière dont le climat changera à l’avenir sous l’influence croissante de l’homme et l’ampleur de ce changement sont moins certains. Et les impacts de ces changements futurs sur les écosystèmes et la société le sont encore moins.
Selon vous, le GIEC a « modéré son estimation de la sensibilité du climat » dans son dernier rapport. Que voulez-vous dire ?
La sensibilité du climat est définie comme l’augmentation de la température globale si la concentration de CO2 dans l’atmosphère était le double de sa valeur préindustrielle. Avant le dernier rapport du GIEC (AR6, publié en août 2021), la fourchette probable se situait entre 1,5 C et 4,5 C, une estimation qui n’avait pratiquement pas changé depuis quatre décennies. Le rapport AR6 a réduit cette fourchette entre 2,5 C et 4 C. De manière significative, le rapport considère les scénarios les plus extrêmes pour les émissions futures comme improbables, ce qui se traduit par une augmentation probable de la température d’environ 2,7 C au-dessus de l’ère préindustrielle (1,5 C au-dessus d’aujourd’hui), ce qui est nettement inférieur aux estimations précédentes.
Le blanchiment des coraux ou la fonte des glaces polaires, pour ne citer que quelques exemples, ne sont-ils pas des indicateurs de référence d’un changement profond ?
Des changements à court terme comme ceux-ci peuvent sembler alarmants, mais le climat est une moyenne sur plusieurs décennies. Étant donné qu’il y a eu une variabilité substantielle même lorsque les influences humaines étaient beaucoup plus faibles ou absentes, les changements observés doivent être replacés dans un contexte historique approprié, afin de ne pas nous tromper. En ce qui concerne les deux exemples que vous citez : malgré les épisodes de blanchiment massif qui ont fait l’objet d’une grande publicité au cours de la dernière décennie, la Grande Barrière de Corail d’Australie présente, depuis deux ans, la plus grande couverture corallienne depuis le début des enregistrements, il y a 36 ans ; Par ailleurs, cette année, l’étendue de la neige dans l’hémisphère nord est l’une des plus élevées depuis 56 ans, et la perte annuelle de glace au Groenland n’est pas plus rapide qu’il y a huit décennies.
Il y a maintenant officiellement huit milliards d’êtres humains sur la planète. Quel impact cela aura-t-il sur les émissions de gaz à effet de serre et le climat ?
Nous pouvons nous attendre à ce que les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au cours des prochaines décennies, voire au-delà. Quelque 6,5 milliards de personnes dans le monde en développement ne disposent pas d’une énergie adéquate et il est immoral, pour ceux d’entre nous qui vivent dans le monde développé, de les décourager dans leur aspiration à se procurer cette énergie. Les combustibles fossiles sont le moyen le plus fiable et le plus pratique d’apporter aux pays en développement l’énergie dont ils ont besoin pour améliorer leur vie.
Quelles mesures concrètes devraient être prises au sujet du changement climatique et quels objectifs réalistes devraient être atteints ?
Tout d’abord, nous devrions abandonner la notion de « crise climatique ». Les meilleures données scientifiques indiquent qu’il n’y a pas de menace urgente et existentielle. Mais nous devons reconnaître la tâche de réduire les influences humaines sur le climat. Deuxièmement, nous devons mettre en œuvre un plan de décarbonation progressive qui respecte la sécurité énergétique et le caractère abordable de l’énergie. Il faudra pour cela intégrer le progrès technologique, l’économie, la réglementation et les comportements. Un élément important de ce plan consistera à développer des technologies à faible coût d’émission, notamment la fission nucléaire, le stockage pour le réseau électrique et les carburants chimiques sans carbone. Enfin, nous devons mettre davantage l’accent sur l’adaptation, notamment en favorisant le développement et la résilience dans les pays les plus pauvres.
Steven E. Koonin, physicien théoricien américain, a notamment été de 2009 à 2011, sous-secrétaire aux sciences, au département de l’Energie, dans l’administration Obama. Auteur de « Climat, la part d’incertitude » (éditions de L’Artilleur).