S.A.S. Albert II de Monaco, « L’économie n’est pas forcément l’ennemie de l’écologie »

La Principauté s’apprête à largement s’investir dans le trentième anniversaire de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay, le 10 décembre 1982. Sous quelle forme et pour quel objectif ?

La Principauté a été l’un des premiers Etats signataires de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et est engagée dans tous les processus de mise en œuvre de cette Convention notamment en prenant une part active dans les négociations de la résolution sur les océans et le droit de la mer.

J’ai souhaité qu’on réfléchisse aux indispensables réformes à apporter à cet instrument juridique après trente années d’existence en matière notamment de gouvernance de la haute mer.

Historiquement, la Principauté a toujours été très impliquée dans la protection des océans. Cette action s’est intensifiée à l’horizon de Rio+20 avec la tenue à Monaco, en novembre 2011, d’une réunion d’experts de haut niveau qui a abouti à la rédaction d’un message relayée auprès des instances internationales afin que le document final de la conférence reprenne les orientations arrêtées lors de cette réunion. Ces orientations ont trait bien entendu à la gouvernance des océans dans les domaines de la sécurité alimentaire, de l’énergie et du tourisme.

De nombreux Etats ont déposé des demandes pour l’exploration des grands fonds marins dont les réserves énergétiques et minérales – désormais accessibles grâce à l’évolution des technologies – attisent de plus en plus les convoitises. Qu’en pensez-vous ?

La multiplication des demandes d’exploitation des ressources des fonds marins doit nous conforter dans l’idée de préserver cet environnement fragile. Ces convoitises illustrent l’importance des fonds marins à l’heure où l’on observe une tendance au renchérissement des matières premières minérales. A ce jour, aucun contrat d’exploitation des ressources minérales n’a encore été signé. Seuls ont été conclus des contrats d’exploration. L’exploitation est prévue et régie par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et concerne les activités menées dans la Zone économique exclusive. Les ressources dans la Zone, située au-delà des limites de la juridiction nationale, appartiennent à l’humanité et doivent être gérées en tant que telles. Le contenu de la notion d’activités menées dans la Zone mérite d’être précisé, mais plus encore la situation de la haute mer.

Aucun espace ne semble devoir échapper à la voracité des hommes dans leur quête de ressources naturelles et énergétiques. L’océan Arctique fait désormais ouvertement l’objet de projets d’exploitation très ambitieux. Quelle est votre sentiment sur le sujet ?

Cet intérêt est lié bien entendu aux perspectives économiques et commerciales dans la région. J’estime également que l’économie n’est pas forcément l’ennemie de l’écologie. Les perspectives de développement économique de l’Arctique, qu’on le veuille ou non, sont inéluctables. Le rêve d’une Arctique à l’abri des Hommes pourrait paraître séduisant mais il serait dangereux d’ignorer la réalité de l’accroissement des activités commerciales dans cette zone. C’est pourquoi il est impératif de l’accompagner et de l’encadrer, plutôt que de le condamner purement et simplement.

Le développement des activités économiques en Arctique est évidemment porteur de dangers importants, mais il est aussi riche en opportunités. Au-delà de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, nous ne pouvons que déplorer que les gouvernements tardent à définir une politique commune de gestion et d’adaptation aux changements qui affecteront l’Arctique au cours des prochaines décennies.

Cependant, les travaux de la Commission Aspen sur le changement climatique en Arctique auxquels j’ai participé, ont suscité un débat approfondi et des propositions pour des démarches novatrices vers une responsabilité partagée et une gestion durable des régions de l’Arctique. Ce rapport, intitulé « Un Avenir Commun », a identifié des stratégies et des méthodes ayant pour objectif de contribuer à la conservation des ressources biologiques critiques de l’océan Arctique et d’assurer des moyens de subsistance durables pour les communautés dont la survie dépend de ces ressources. Ce document de travail a mis l’accent sur plusieurs recommandations visant à renforcer la gestion du milieu marin arctique par des moyens qui assureront de façon pérenne la résilience naturelle des multiples écosystèmes interdépendants de l’Arctique.

Pour aller dans ce sens, ma Fondation développe un partenariat avec des grandes ONG qui œuvrent pour la mise en place d’Aires Marines Protégées dans des zones sensibles de l’Arctique et engage également une réflexion sur les amendements à apporter à la Gouvernance de la Haute mer où se commettent les pires excès.

S.A.S. Albert II de Monaco (Photo : Palais princier)

Vous avez créé votre fondation à l’issue d’une expédition menée au Pôle Nord en 2006 pour sensibiliser l’opinion publique internationale au problème du réchauffement climatique. Quelles sont aujourd’hui les priorités de son action ?

Cette expédition au Pôle Nord m’a permis de constater l’impact des activités humaines sur l’évolution du climat et la nécessité de gérer durablement les ressources de notre planète afin de les préserver. J’ai créé ma Fondation en juin 2006, mais je pensais déjà à la lancer bien avant cette expérience. Je suis aujourd’hui fier de nos premières activités car elle soutient 198 projets sur les cinq continents en axant prioritairement ses efforts sur trois zones essentielles : le bassin méditerranéen, les régions polaires et les pays les moins avancés notamment de l’Afrique sub-saharienne. Elle vise la mise en œuvre de solutions innovantes et éthiques dans les domaines de l’eau, de la biodiversité et du changement climatique.

S.A.S. Albert II de Monaco (Photo : Palais princier)

Nous avons parlé de l’Arctique. Des menaces identiques pèsent-elles, selon vous, sur l’Antarctique ? Le continent est aujourd’hui protégé par un Traité qui en fait un espace de paix réservé à la science mais qu’en sera-t-il demain ? En juin 2011, lors de la 34e réunion consultative du Traité sur l’Antarctique, la Russie – déjà très active en Arctique – a évoqué des « projets d’investigations complexes portant sur les ressources minérales, les hydrocarbures et les autres ressources naturelles de l’Antarctique » qui pourraient, selon elle, mener à l’abandon du protocole de Madrid. Qu’en pensez-vous ?

Il faut rappeler que la situation de l’Antarctique qui est un continent est fondamentalement différente de celle de l’Arctique qui est un océan. Le Protocole de Madrid fixe les principes environnementaux auxquels est soumise toute activité en interdisant toute exploitation minière et soumet toute activité à une étude préalable d’impact environnemental. L’Antarctique joue un rôle « pivot » dans les processus atmosphériques et océanographiques globaux, mais aussi dans une meilleure connaissance scientifique de notre planète. La Principauté a une volonté d’aider à préserver cette région, essentielle à l’équilibre planétaire. Le krill, élément essentiel de l’écosystème marin antarctique, et les ressources biologiques marines suscitent un intérêt croissant de par leur potentiel économique et commercial. Les menaces d’origine naturelle ou humaine sont plus que jamais présentes et la convoitise pour l’exploitation des ressources de cette région n’est pas nouvelle. L’esprit du Traité sur l’Antarctique et du Protocole de Madrid met en avant la notion d’intérêt de l’humanité. Ce modèle doit nous inspirer pour la gouvernance de l’Arctique. Je me réjouis que le Secrétariat général des Nations unies ait choisi pour son second mandat de travailler avec les Etats Parties pour que l’Antarctique devienne une réserve naturelle mondiale.

Quels objectifs la Principauté se fixe-t-elle dans le domaine de la préservation de notre environnement et de la biodiversité?

Dès mon avènement, j’ai insisté sur l’importance qu’il fallait donner à l’environnement et à son évolution. J’avais ainsi indiqué que cette volonté collective de préserver l’environnement devra être l’un des apports de notre pays à la communauté internationale. Je souhaite, bien sûr, que notre expérience dans ce domaine profite au travers de divers projets de coopération à d’autres pays. Mes différents voyages dans les zones polaires, mais aussi en Afrique et dans la zone Asie-Pacifique, m’ont conforté dans ma volonté de participer activement à la protection de l’environnement. Nous agissons, tous les jours, pour montrer que la Principauté peut être exemplaire et parmi les Etats les plus innovants dans ses approches environnementales. Concernant la biodiversité, j’illustrerai mon propos par notre action pour sauvegarder une espèce emblématique de notre Méditerranée : le thon rouge. Au niveau de la Principauté de Monaco, les restaurateurs ont été nombreux depuis 2008 à répondre à l’appel lancé conjointement par ma Fondation Prince Albert II et l’association MC2D pour ne plus consommer du thon rouge. Nous contribuons ainsi à sensibiliser à la nécessité de sauver cette espèce qui est un élément essentiel de l’équilibre de la diversité biologique de notre mer. Monaco est devenu ainsi le premier Etat «sans thon rouge ». D’autres espèces sont concernées par des mesures de protection de la part de ma Fondation telles que le Chameau Bactrian, le Tigre de l’Amour, les Girafes du Niger, le phoque moine, etc. Les Services de l’Etat, appuyés par la Fondation Prince Albert II de Monaco, ont alors lancé une procédure d’inscription du thon rouge à l’annexe I de la CITES (la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Cette procédure a débuté par une consultation des états membres de l’ICCAT (Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique).

De nombreux Etats ont rejoint la Principauté de Monaco pour cette cause. Le vote à la conférence de Doha, en mars 2010, a malheureusement été négatif. Toutefois, nous avons réussi à sensibiliser l’opinion publique. Cette sensibilisation a commencé à porter ses fruits dans la mesure où l’ICCAT s’est enfin engagée dans une démarche de réduction des quotas de pêche et surtout de contrôle de leur application.

S.A.S. Albert II de Monaco (Photo : Palais princier)

La Méditerranée est malmenée, minée par des problèmes environnementaux, sociaux, économiques, politiques. Quel rôle joue – ou peut jouer – un Etat comme Monaco dans la définition de la Méditerranée de demain ?

Par sa géographie, son histoire et sa culture, la Principauté est un Etat évidemment méditerranéen et doit jouer un rôle important dans cette définition. Monaco a à cœur d’œuvrer pour la protection de cette mer. Mon pays est fortement impliqué à cette fin dans toutes les organisations ou systèmes institutionnels suivants : CIESM, PAM (Plan d’Action pour la Méditerranée), ACCOBAMS (concerne les cétacés de la Mer Noire, Méditerranée et zone Atlantique adjacente), l’ONU avec la Convention sur la diversité biologique, enfin l’Union pour la Méditerranée et le soutien des activités de la Fondation Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures de la région euro-méditerranéenne.

La Méditerranée nous impose d’unir nos efforts avec force pour relever les nombreux défis qu’elle pose aux pays riverains en matière de lutte contre la pollution, de préservation de la biodiversité, d’accès à l’eau. J’ai demandé à mon Gouvernement, à travers le département de la Coopération monégasque, de soutenir de nombreux projets dans les domaines de la santé, de l’éducation, ou encore dans ceux liés aux activités micro-économiques aussi bien au Maroc, en Tunisie, en Mauritanie, au Liban, qu’en Croatie, en Slovénie, en Egypte et en Bosnie-Herzégovine.

Le projet d’extension de Monaco sur la mer est-il toujours d’actualité ?

Nous menons actuellement des études pour une extension en mer mais la réalisation d’un tel projet nécessite les meilleures compétences dans le domaine de la conception. Les contraintes sont multiples : technique, esthétique, urbanistique, pérennité des ouvrages mais surtout respect de l’environnement marin sur le long terme.

Vous êtes Président, depuis plus de vingt ans, du Yacht club de Monaco. Que représente ce Yacht club pour la Principauté ?

Le Yachting constitue une longue tradition monégasque : la première régate s’est déroulée en 1862, le premier meeting de canots automobiles en 1904 et le YCM a été crée en 1953 ! En tant que Président du Yacht Club depuis 1984, j’ai souhaité développer à la fois les structures de formations pour les jeunes (du scolaire à la compétition) mais aussi les épreuves internationales. Le Yacht Club de Monaco compte plus de 1 000 membres de 56 nationalités. Ses nouveaux locaux réalisés par Lord Norman Foster sont un projet ambitieux qui positionnera la Principauté comme un pôle d’excellence renforçant l’animation du Port et le prestige de Monaco.

Pratiquez-vous la voile régulièrement ?

Dès que cela m’est possible, j’aime me joindre à l’équipage de Tuiga, navire amiral du YCM. Tuiga représente des valeurs qui me sont chères : sauvegarde du patrimoine maritime et navigation à l’ancienne, respect de l’étiquette navale et préservation de l’environnement.

Vous avez fait, entre 1981 et 1982, le tour du monde à bord du porte-hélicoptère Jeanne d’Arc. Pourquoi avoir choisi la Marine nationale à cette époque et quel souvenir gardez-vous de cette expérience ? quelle relation entretenez-vous avec la mer et quelle en est l’inspiration ?

C’était un choix personnel. Faire un stage militaire dans une autre arme aurait été aussi enrichissant mais j’avoue que l’appel du large qu’offrait une campagne à bord de la Jeanne d’Arc était irrésistible ! J’en garde un souvenir extraordinaire et j’ai été très heureux d’avoir eu le privilège d’accompagner la Jeanne à son retour à Brest à l’issue de sa dernière campagne. J’ai grandi en lisant les récits extraordinaires des expéditions de mon trisaïeul, Albert Ier. Mon père, le Prince Rainier, était également passionné par les océans et leur protection et enfin, ma mère, la Princesse Grace, m’a fait découvrir dès mon plus jeune âge le bonheur de la navigation sur un voilier. Comment, avec un tel héritage familial, aurais-je pu ne pas être passionné par la mer !

(Photo : Marine nationale)
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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