Idomeni (Grèce), cul de sac européen pour réfugiés erratiques

Il semblerait que des tentes soient posées sur l’autoroute. Dans un fond de val, au beau milieu de l’autoroute E75, des tentes « deux secondes » Quechua indiquent qu’on arrive à une station d’essence. Des migrants se sont installés là, comme ça, sur la route, à même l’asphalte. Sur la station, dans les champs alentours, des tentes « deux secondes » éparpillées partout comme des champignons compacts, à 25 km de toutes autres habitations, 300 hommes, femmes et enfants, tous arabes, Syriens ou Irakiens. 

Yahya, 34 ans, raconte la même histoire sempiternellement entendue en France depuis le début du phénomène et toujours aussi navrante : la Syrie, la guerre, la fuite, la Turquie, Lesvos, Athènes, la frontière…  Mais pourquoi là ? Au milieu de nulle part, à couper quasiment une autoroute dont seule une voie sur quatre est restée libre de tout obstacle ? Yahya explique, sa fille Sarah, 16 mois, dans les bras : « Idomeni était trop difficile. En plus ils commencent à vider le camp. Quand ils rouvriront la frontière (avec la Macédoine NDLA) nous serons les premiers à passer, elle est à 25 km ! »

La directrice de la station service, avec un sourire simple et discret, assure que non, ils ne posent pas de problèmes. Ils sont près de 350 à camper sur la station mais elle ne se plaint pas. « Ce sont eux qui sont à plaindre » dit-elle sans ostentation, « ils sont très corrects, ne gênent pas l’accès à la station, pas de vol, pas de violence. Ils sont juste là à attendre ».

Vingt minutes plus tard, l’autoroute une fois quittée, la route communale serpente entre les champs arborés, à l’est d’Idomeni, et s’enfonce sans transition dans une foule bigarrée. Le camp n’a pas de frontière, pas de limite, pas de barrière. Hormis la double rangée de clôture entourée de barbelés qui interdit l’accès à l’Europe. Le soleil n’est pas haut mais il est déjà chaud. 25°c à 10 heures.

La visite peut durer des heures au milieu de la masse vivante agglomérée, entre bacs à lessives, femmes voilées, volontaires norvégiennes de 20 ans distribuant des couches, détritus et match de foot improvisés. Des enfants partout. La frontière est fermée. Les migrants attendent. Ils ont envahi l’ancienne gare de triage, ses quais, ses hangars, ses ruines. Une rangée de barbelés qui sert d’étendoir à linge du coté grec. Des militaires et un camion anti-émeute du coté macédonien.

La porte-parole de l’UNHCR, Liene Veide, explique : « Il y a entre 8 et 12 000 réfugiés ici. Il est impossible de faire un comptage, des familles arrivent quotidiennement, d’autres repartent, dans des hots spots créés par l’Etat grec ou ailleurs, dans des camps sauvages ». Interrogée sur ce qui motive les migrants à rester ici, elle répond laconique : « Ils espèrent que la frontière va ouvrir d’un instant à l’autre ». Dans le camp, la rumeur court de manière sporadique. La frontière va réouvrir… bientôt.

Evidemment, ce n’est pas officiellement à l’ordre du jour. Depuis l’arrivée massive de migrants en 2015, depuis les attentats de Paris et les incidents de Cologne, les Suédois, les Danois, les Allemands ont sensiblement modifié leurs politiques d’accueil et rétabli le contrôle à leurs frontières. En conséquence, tous les pays de transit (Autriche, Serbie, Macédoine) ont également fermé la leur de peur de se retrouver avec un million de migrants sur les bras. Réouvrir la frontière quand sa fermeture le 9 mars s’est faite dans une indifférence générale, est hautement improbable.

La route des Balkans a été coupée brusquement. Idomeni était le point de passage principal du flux. Comme un lac qui se forme après la fermeture d’un barrage sur une rivière, l’inertie du mouvement migratoire est venu s’écraser contre les barbelés macédoniens et s’est répandue dans la campagne grecque. La frontière maritime de l’espace Schengen – la côte grecque -, étant impossible à protéger, l’Union Européenne a sectionné le flux en aval. Sur une frontière terrestre. Laissant la Grèce et son économie guère florissante gérer 80 000 réfugiés sur son territoire. A Idomeni, l’Etat grec n’a aucune structure. Il assiste l’UNHCR, fournit l’eau, évacue les ordures, déploie des pompiers en renfort et maintient en veille un dispositif policier. Mais c’est l’UNHCR et MSF qui soutiennent le camp.

Liene Veide a bien conscience des conditions de vies des réfugiés ainsi que des rumeurs d’ouverture de la frontière, infondées, qui contribuent à fixer les populations sur place. Mais l’agence onusienne qu’elle représente a une charte déontologique stricte. Elle n’incite pas les populations à rejoindre les hots spots pas plus qu’elle ne les dissuade de franchir la frontière. L’UNHCR aide les réfugiés là où ils sont et les laisse libres d’écouter ou non des rumeurs.

Un responsable d’ONG reconnaitra plus tard, sous couvert d’anonymat, que les migrants installés dans les hots spots du gouvernement grec sont difficilement accessibles. Alors qu’à Idomeni, n’importe quel groupe, n’importe quelle ONG, n’importe quelle association, politisés ou non, peut avoir accès à prés de 10 000 personnes déboussolées prêtes à tout pour un peu d’espoir. Un terreau idéal pour faire germer toutes les graines. Des passeurs mafieux aux mouvements altermondialistes, des ONG en quête de surface médiatique aux bonnes volontés les plus sincères.

Le camp fait face à de nombreux défis. La porte parole de l’UNHCR ne cache pas son inquiétude avec l’été qui arrive. Cette région du nord de la Grèce connait des températures caniculaires en juillet et en aout. Les conditions de vie, les détritus, les toilettes chimiques qui ne sont pas utilisées de manière systématique risquent de transformer le camp en véritable foyer d’infections. Sans parler des risques d’incendie sur un vaste « camping » où de nombreuses familles cuisinent au feu de bois, sans allées d’évacuation ni accès normés pour les pompiers.

Les migrants vivent là dans une tension morale liée à l’attente et au désespoir qui exacerbent le niveau de nervosité. Les heurts entre réfugiés sont fréquents. Des crises comme celles qui a vu les migrants tenter de forcer, le 10 avril dernier, la frontière avec la Macédoine, ne manqueront pas de se reproduire si le camp n’est pas résorbé.

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