« La France occupe toujours une position stratégique sur le marché mondial du naval de défense. » (Philippe Missoffe)

A l’heure du réarmement naval mondial, quel bilan tirez-vous de la dernière édition 2024 du salon Euronaval organisé par le GICAN et la Sogena ?

Cette 29e édition d’Euronaval qui s’est tenue au Parc des Expositions de Villepinte du 4 au 7 novembre 2024 a été un grand succès. D’abord par son affluence avec plus de 26 000 visiteurs (record battu pour le salon !), et avec près de 500 exposants français et internationaux. Ce sont aussi 150 délégations officielles françaises et étrangères, composées de hautes autorités politiques et militaires, qui ont rencontré les industriels et échangé sur l’actualité et les innovations de l’industrie navale de défense.

Comment se situe l’industrie navale de défense française sur le marché du réarmement massif que l’on observe depuis plusieurs années dans le monde ?

La France occupe toujours une position stratégique sur le marché mondial du naval de défense grâce à sa capacité à fournir des navires performants et compétitifs, à assurer un service après-vente de qualité et à réaliser des transferts de technologie et des coopérations industrielles pertinents. La baisse notable des exportations françaises de matériels militaires, tous secteurs confondus, en 2023 (8,2 milliards d’euros) par rapport à 2022 (26,9 milliards d’euros), n’est pas révélatrice de la dynamique de fond du marché naval. De nombreuses industries françaises voient leur chi re d’a aires et prises de commande augmenter, notamment grâce à l’export, comme en témoigne les récents contrats remportés par les acteurs de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) navale, que ce soient les chantiers navals comme les systémiers et équipementiers. Le marché national n’est pas en reste avec une Loi de programmation militaire (LPM) jugée ambitieuse permettant le renouvellement de la flotte de la Marine nationale française. Ainsi, TechnicAtome, spécialiste des réacteurs nucléaires compacts, a connu une croissance de 11 % de son chi re d’a aires en 2023, dans le cadre du programme de sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren de la Marine nationale. La filière industrielle navale française est duale et intégrée. Et lorsqu’un acteur majeur signe un important contrat, c’est toute la filière qui est concernée : chantiers, équipementiers, systémier, bureaux d’études et sous-traitants… L’industrie navale militaire française demeure un acteur clef sur la scène internationale, grâce à son expertise et à sa capacité à s’adapter aux évolutions du marché et aux besoins des clients. Mais il ne faut pas non plus négliger la concurrence et de nouveaux acteurs turcs, sud-coréens et bien sûr chinois qui peuvent constituer une menace pour l’industrie navale française si cette dernière n’est pas soutenue par les pouvoirs publics, d’autant plus que certains concurrents décident de ne pas jouer sur les mêmes règles du jeu, créant un désavantage compétitif pour notre industrie.

L’industrie navale de défense est-elle en mesure de répondre rapidement au besoin d’action de la Marine française dans les cinq dimensions, sous-marine, surface, aérienne, spatiale et cyber, qu’elle doit désormais prendre en compte ?

Les domaines d’intervention de la Marine nationale sont nombreux. Les menaces le sont donc aussi. Dronisation, intervention accrue de l’intelligence artificielle, traitement des données en masse, nouvelles sources d’énergie, systèmes quantiques… les outils et les méthodes du combat naval connaissent leur plus profonde mutation depuis des décennies et l’industrie française s’est positionnée pour fournir des solutions à la Marine nationale et aux marines exports.

Aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’une guerre d’usure et d’attrition. On constate une augmentation du nombre de plateformes navales, des crises qui font appel à de plus en plus de drones, missiles, torpilles et autres électeurs, qui peuvent être plus rapides, plus nombreux, et qui nécessitent donc d’être équipés pour neutraliser les menaces. La Marine doit pouvoir lutter avec des équipements et des systèmes qui permettent de détecter l’ensemble des menaces au loin et de disposer des outils pour les contrer dans la durée. Le développement des briques technologiques permettant le combat naval collaboratif, les systèmes de lutte anti-drones, les armes laser sont certaines des réponses à ces menaces. Le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle et à la dronisation (dans les airs, en surface et sous-marine) sont aussi des tendances très fortes, notamment pour la guerre des mines. Les développements autour du quantique sont aussi essentiels pour participer à l’invulnérabilité des navires.

Enfin les systèmes doivent être opérationnels. Toutes les technologies qui découlent de la maintenance intelligente sont essentielles pour permettre à la Marine nationale de garder son fort taux de disponibilité. La fabrication additive est une des solutions. Les nouvelles et futures plateformes de la Marine nationale auront accès à ces technologies. Il est important aussi de signaler que face à l’évolution de plus en plus rapide des technologies, les modernisations des navires ne peuvent plus se faire à mi-vie soit 15 ans en moyenne. Le développement de la modernisation incrémentale est essentiel pour permettre à la Marine de bénéficier de technologies à jour pour répondre aux nouvelles menaces. Le choix de faire un programme d’urgence opérationnelle en installant les systèmes optroniques PASEO XLR sur les FREMM afin qu’elles puissent être en mesure de répondre aux menaces des Houtis en mer Rouge est un bon exemple. L’industrie navale française joue un rôle central dans la transformation du combat naval et s’affirme comme un partenaire clé de la Marine nationale ainsi que des marines étrangères, contribuant à maintenir une avance stratégique et technologique.

L’industrie navale de défense va-t-elle permettre à la France de rattraper son retard en matière de drones ? Va-t-elle être vraiment au rendez-vous de l’intelligence artificielle ? Où en sommes-nous sur ces deux sujets ?

Sans entrer dans une forme de comparaison avec le domaine des drones aéronautiques, la France se distingue par une avance notable dans le secteur naval. Lors d’Euronaval, les visiteurs ont pu découvrir différentes gammes de drones produites par des entreprises françaises comme le catalogue SeaQuest et le UCUV de Naval Group, le Drix-Océan d’Exail, le Magellan de Couach, le SeaExplorer d’Alseamar, et bien d’autres systèmes développés par des start-ups et PME expertes dans le domaine des drones navals comme RTSys, Arkeocean, Diodon, SEAir, et qui témoignent de la vitalité du secteur. Il est important de souligner que le secteur des drones est dual, combinant des applications civiles et militaires, avec un fort dynamisme souvent impulsé par le marché civil. La France, en se positionnant comme pionnière dans la création d’un cadre réglementaire dédié aux drones à usage civil, bénéficie d’un avantage compétitif significatif. Il reste désormais crucial de concrétiser cet élan et d’en tirer pleinement parti afin de prendre un véritable virage industriel en toute autonomie stratégique et technologique.

L’intégration de l’intelligence artificielle est évidemment un défi pour l’industrie navale, et systémiers et équipementiers s’attachent à travailler ensemble pour produire les solutions les plus performantes et opérationnelles. Le marché est en pleine explosion et les industriels doivent répondre aux défis fixés par le cahier des charges de la Marine nationale et des clients étrangers : maintenance prédictive pour l’entretien et le maintien en condition opérationnelle des navires, aide à la décision dans des environnements complexes, surveillance et autonomie des drones notamment, collecte et traitement de données pour anticiper les menaces potentielles. Toute est encore à construire mais l’industrie navale française en a conscience et sait faire preuve de créativité et d’innovation dans le domaine.

Les acteurs de la BITD française dénoncent depuis plusieurs années la réticence des banques à financer leur activité et cela concerne aussi bien les starts up que les PME ou les grands groupes. Quelle est la situation aujourd’hui au regard du risque que cela fait peser sur l’autonomie stratégique et la souveraineté de la France ?

L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a été un électrochoc sur le sujet. Et l’enjeu du financement des activités industrielles de défense est enfin devenu crucial dans le débat public, pour garantir notre souveraineté. Il faut d’abord noter cette prise de conscience des pouvoirs publics, des banques et plus largement du grand public. Mais ce n’est évidemment pas suffisant. Le manque de financement fait peser une double menace pour la souveraineté française, politique et économique. Politique d’abord, parce qu’un État qui ne peut assurer sa protection et se défendre sur terre comme sur mer est un État dont la souveraineté s’étiole. Économique aussi car pendant que nous tergiversons sur les modalités de soutien à notre industrie, les entreprises étrangères du secteur naval, notamment en Asie, sont massivement aidées par leurs pouvoirs publics, faussant ainsi la concurrence. La réflexion sur le financement de la BITD doit enfin être portée au niveau européen, via notamment le Fonds européen de défense, mais pas seulement. Puisqu’on parle de financement, la question de l’engagement de la Banque Européenne d’Investissement dans l’industrie de défense est toujours d’actualité, dans un contexte de guerre en Europe. Mais les obstacles demeurent et c’est pourquoi, avec le GICAN, nous défendons à Paris comme à Bruxelles les intérêts de la filière, pour soutenir l’investissement et le dynamisme d’une industrie navale qui ne cesse de se renouveler. L’État a pris à bras le corps ce sujet et surveille aussi avec attention les cas de refus, aussi bien au niveau bancaire qu’assurantiel, et nous ne manquons pas de les alerter sur les abus relevé.

Marine & Oceans
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La revue trimestrielle MARINE & OCÉANS est éditée par la "Société Nouvelle des Éditions Marine et Océans". Elle a pour objectif de sensibiliser le grand public aux principaux enjeux géopolitiques, économiques et environnementaux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile.   Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu'aux échanges. Les ressources qu'ils recèlent sont à l'origine de nouvelles ambitions et, peut-être demain, de nouvelles confrontations.

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