[Le décryptage de M&O] Le PANG, un porte-avions au cœur (nucléaire) des futurs enjeux stratégiques de la France

Depuis quelque temps, le nom du successeur du porte-avions Charles de Gaulle est au cœur des débats.  Preuve, s’il en est, de l’importance de ce vecteur stratégique dans l’inconscient collectif. Quels seront l’emploi et les capacités de ce porte-avions de nouvelle génération (PANG) ? Explications.

Par

Pierre d’Herbès,

Expert en intelligence économique, fondateur du cabinet dHC

Le futur porte-avions sera construit dans le cadre d’un partenariat resserré entre Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique. Le coût global du projet, qui devrait entrer en phase de « développement-réalisation » fin 2025 avec la notification de la commande par la Direction générale de l’armement (DGA), est estimé à une bagatelle de 10 milliards d’euros.

La construction navale reconnaissante

De quoi donner une nouvelle bouffée d’oxygène au secteur de la construction naval mais « pas de quoi enrayer la dynamique des marchés concurrents, notamment asiatiques » nous explique Axel Trinquier, consultant en intelligence économique chez Affinis Defense. En effet, « si la construction navale française demeure compétitive sur des segments de marché refuge, à l’instar des bâtiments de guerre ou encore des navires de croisières, elle est globalement absente sur le reste ».

Le PANG représente un vrai saut quantitatif par rapport à son prédécesseur. Long de 310 mètres, il déplacera 75 000 tonnes contre 262 mètres et 42 500 tonnes pour l’actuel Charles de Gaulle (CDG). Il emportera une quarantaine d’aéronefs dont une trentaine de Rafale Marine, des hélicoptères, des avions radars (E2-D Hawkeye) mais aussi des drones. Surtout, le PANG sera spécifiquement conçu et développé afin d’accueillir le New Generation Fighter (NGF) du programme Système de Combat Aérien du Futur (SCAF). Les deux réacteurs nucléaires développeront chacun une puissance de 220 MW contre 150 pour le CDG.

Comme son prédécesseur, le PANG sera un Catobar (Catapult Assisted Take Off Barrier Arrested Recovery) c’est-à-dire équipé de catapultes pour le décollage de ses avions et de brins d’arrêt pour leur atterrissage. Il pourrait toutefois disposer de trois catapultes électromagnétiques contre deux à vapeur actuellement. Une capacité centrale, économe en carburant au décollage et donnant aux avions une plus grande allonge et une plus grande capacité d’emport en termes d’armement. Problème, les catapultes du futur PANG sont produites par les États-Unis qui sont ou plutôt étaient les seuls, avec la France, à en disposer (depuis le lancement en 2022 du 3 porte-avions chinois, lui-même doté de catapultes électromagnétiques).

Certaines voix s’élèvent pour développer la filière en France. Mais, selon Axel Trinquier « les coûts de développement associés seraient énormes et pourraient retarder l’entrée en service du PANG. Il faudrait plutôt planifier l’acquisition de cette brique technologique pour… le successeur du PANG ».

Un groupe aéronaval, mais pourquoi ?

Sans surprise, le développement du PANG s’accompagne d’une intense réflexion doctrinale. Il faut dire que le contexte international s’y prête, entre la guerre en Ukraine, les affrontements en Méditerranée orientale et en mer Rouge ainsi que les tensions dans le sud-est asiatique. Sans parler de l’Afrique.

De facto, la compétition internationale s’exacerbe et les champs de conflictualité se multiplient. Or, par sa capacité de projection de puissance et de combat multi milieux – multi champs (M2MC), Terre, air, mer, espace, cyber, le groupe aéronaval est un outil fondamental pour imposer sa supériorité. Comme le rappelait récemment Thibault Lavernhe dans le magazine DSI : « un porte-avions de classe Nimitz est capable de délivrer en 30 jours de frappes aériennes l’équivalent (en charge militaire) de 5 000 missiles de croisière Tomahawk ».

Les discussions menées lors de la Conférence Navale de Paris 2024 insistent d’ailleurs sur l’emploi et les modalités d’engagement du groupe aéronaval dans les conflits du XXIᵉ siècle. L’un des éléments les plus saillants est le positionnement de ce dernier non plus comme un « simple » moyen de projection de puissance, mais aussi comme un outil destiné à libérer des accès maritimes. En bref, contrer la prolifération des capacités de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD pour Anti-Access / Area Denial) tels que les missiles (balistiques, antinavires, anti-aériens), les dispositifs de guerre électroniques, la généralisation des drones, l’inflation des marines de guerre, etc. Cela alors même que les menaces asymétriques n’ont pas disparu, loin de là.

On pense ici tout de suite aux moyens d’interdiction et de dissuasion conventionnels, déployés par la Chine et ses compétiteurs en mer de Chine méridionale. De facto, le groupe aéronaval redevient un instrument de guerre navale : un indicateur de la contestation du primat militaire occidental.

Vulnérable, pas vulnérable ?

La prolifération des capacités A2/AD a parallèlement relancé le débat autour de la vulnérabilité des porte-avions. On peut ici citer l’Ukraine qui, via le déploiement de missiles antinavires, de drones aériens et de surface, est parvenue à mettre en échec la marine russe. Mais c’est précisément l’existence de telles menaces qui rendent pertinentes l’emploi de groupes aéronavals en capacité de délivrer une puissance de feu et des réseaux d’attaque infovalorisée  afin d’imposer leur décision. Comme l’on fait remarquer plusieurs commentateurs : une vulnérabilité relative ne doit pas occulter les effets produits.

Reste l’argument des fameux missiles hypersoniques. Ces armes seraient des « game changer » face à de coûteux navires amiraux dont la perte provoquerait en sus un choc moral terrible dans leur pays d’origine. Mais, comme le rappelle Axel Trinquier « Un porte-avions n’est jamais isolé, mais protégé par son groupe aéronaval (GAN), de plus on a tendance à surestimer les armes hypersoniques. En effet, ces dernières décélèrent dans une logique d’ajuster leur ciblage sur le bon bâtiment, cela du fait de la particularité du combat naval de s’inscrire dans un mouvement continue des cibles. Ainsi, la réduction de leur vitesse laisse ces vecteurs à la merci des défenses anti-aériennes du GAN ».

In fine, l’investissement important apporté en développement du PANG obéit à un besoin rationnel qui tient compte des risques sécuritaires qui se profilent pour les décennies à venir.

Il n’en demeure pas moins que si l’idée d’un porte-avions et de son groupe aéronaval se justifient, il importe également de les doter de systèmes en mesure de remplir leur mission, notamment en termes de commandement et contrôle, de guerre électronique, mais aussi d’intelligence artificielle pour le traitement et la fusion des données. En résumé, continuer dans le sens de la guerre en réseau, de la robotisation et de l’info valorisation en marche depuis 30 ans dans la transformation technologique des armées. En outre, les capacités de défense anti-missiles et anti-drones du GAN sont aussi au cœur des préoccupations. 

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