Pendant un mois, deux équipes du Shom et de l’Ifremer ont parcouru ensemble la Méditerranée, de Toulon à Minorque, sous les traces du satellite SWOT qui est actuellement en période de validation avant son basculement en mode opérationnel à l’été 2023. À bord de deux navires de la Flotte océanographique française, l’Atalante et Téthys II, les scientifiques ont étudié des structures océaniques (tourbillons, filaments et fronts de courants) de taille moyenne afin de comparer ces données de terrain aux premières données spatiales à haute résolution fournies par SWOT. À terre, les analyses se poursuivent mais les scientifiques sont déjà en mesure d’annoncer que, grâce à SWOT, des structures d’échelle moyenne, non détectées par les satellites altimétriques ordinaires, sont désormais révélées avec une précision inégalée.
Le satellite SWOT, développé conjointement par le CNES et la NASA, doit fournir à la communauté scientifique internationale une myriade de nouvelles données avec une résolution inégalée grâce à un nouveau radar, baptisé KaRIn, qui permet de détecter des structures océaniques 5 à 7 fois plus petites qu’avec les instruments actuels d’observation spatiale. Ce sont ces tourbillons, filaments et fronts de courant, dont la taille comprise entre une et plusieurs dizaines de kilomètres, que les scientifiques ont traqué pendant la mission conjointe C-SWOT (côté Ifremer) et WEMSWOT (côté Shom). Ils se manifestent à la surface de l’océan par des « creux » et des « bosses » pouvant faire varier le niveau de la mer de quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres et permettent de vérifier la finesse des observations faites depuis l’espace.
Une multitude de données récoltées, plusieurs années d’analyse en perspective
Pour les physiciens océanographes Pierre Garreau (Ifremer) et Franck Dumas (Shom), responsables scientifiques des deux missions qui se sont achevées le 18 avril 2023 : « Lors de la mission, nous avons traversé et caractérisé le plus finement possible des tourbillons, des fronts et des filaments de courants situés dans les deux bandes de 50 km de large survolées quotidiennement par le satellite entre les Baléares et les côtes françaises des Bouches-du-Rhône et du Var ».
Pour les deux scientifiques : « Le fait de travailler à deux bateaux nous a permis d’avoir une vision plus fine en deux dimensions des courants et de leurs variations. Une telle opportunité est rare et ces résultats sont d’autant plus précieux. Toute la difficulté a été d’adapter la vitesse des deux navires pour qu’ils évoluent en parallèle, à 5 milles marins l’un de l’autre, sans dévier de leurs trajectoires ».
Ces missions jumelles se sont appuyées sur la mise en œuvre de nombreux instruments : bathysondes, bouées dérivantes, sondeurs acoustiques, sondes « poissons » remorquées, gliders, profileurs Argo…. Leur déploiement coordonné entre les équipes a permis de détecter des phénomènes évoluant rapidement et parfois éphémères, grâce à une navigation conjointe des deux navires. Les données récoltées permettent, entre autres, de cartographier les variations de température et de salinité de la surface jusqu’à 300 mètres de profondeur, d’en déduire la densité des masses d’eau puis les courants. Les 35 bouées dérivantes déployées ont permis de suivre l’évolution des courants sous les traces du satellite SWOT.
La dernière partie de la mission a mobilisé un drone de surface, le DriX de la société Exail, piloté depuis la terre. Equipé d’un sondeur de courant et capable de mesurer l’élévation du niveau de la mer, cet engin léger a permis d’expérimenter de nouvelles stratégies d’échantillonnage de ces phénomènes de petite taille tout en réduisant l’impact carbone de la mission.
L’océanographie spatiale prend une nouvelle dimension
Des premières images prises par SWOT sur la zone scrutée par l’Ifremer et le Shom ont été dévoilées par l’équipe de la mission spatiale pour amorcer les travaux de comparaison.
Pour les équipes concernées : « Nous sommes impressionnés par la précision des images SWOT. On y voit très nettement des structures d’une dizaine de kilomètres de large que nous avions observées en mer et jusqu’ici invisibles sur les images prises par les satellites altimétriques équipés de radars classiques ».
Dans les semaines à venir, les scientifiques poursuivront l’acquisition de données en mer. Ils les confronteront à celles de SWOT pour mieux comprendre ce que voit le satellite et savoir jusqu’à quel niveau de détail il peut apporter des précisions sur la dynamique superficielle de l’océan. En parallèle, d’autres missions similaires viennent de s’achever ou sont en cours : en Méditerranée, en Australie, en Californie, au Canada, au large de la Nouvelle-Calédonie, en mer Baltique, au large du Gabon, de la Patagonie… Si le succès se confirme dans ces autres zones, SWOT ouvrira la voie à une nouvelle dimension de l’océanographie spatiale.
Pour les deux chefs de mission : «Nous savons que les structures océaniques moyennes contrôlent une partie significative des échanges d’eaux entre la surface et l’océan profond et donc des transferts de chaleur, de carbone, de nutriments. Grâce à SWOT, nous pourrons les observer finement, les étudier dans le monde entier, et comprendre et quantifier leur rôle dans la machine climatique ».
L’équipe du pôle Opérations navales à la direction de la Flotte océanographique a accompagné, dès l’été 2021, le calage de cette série de campagnes en participant aux commissions inter-organismes SWOT par son éclairage des contraintes opérationnelles. Le plan de programmation des campagnes océanographiques de 2023 a ainsi été construit autour de cette série particulièrement ambitieuse de missions SWOT.
Pour Goulwen Peltier, responsable du pôle Opérations navales : « Toute notre articulation reposait sur le respect du planning du lancement du satellite. Nous avons été soulagés lorsque celui-ci a effectivement été mis en orbite à la mi-décembre 2022 ».
Source : Shom/Ifremer.
Crédits photo : Shom/Ifremer.