Par François Lambert, Directeur Général de l’École nationale supérieure maritime (ENSM).
Il nous faut former des marins, des officiers de la marine marchande pour préserver la place de la France dans le concert des nations maritimes. Les marins, et les officiers de la marine marchande français, embarquent à bord des navires de commerce français pour assurer la souveraineté de notre pays et participer au développement de la croissance bleue.
Pourtant, l’idylle entre le pavillon français et le marin français n’est pas complètement évidente. L’école de formation des officiers de la Marine marchande n’a pas toujours été l’antichambre du pavillon français. L’Histoire aurait pu s’écrire autrement. Les écoles nationales de la marine marchande, fusionnées en 2010 dans un établissement public unique qu’est l’École nationale supérieure maritime (ENSM), auraient pu fermer. Nous aurions pu voir émerger une structuration différente, à même de former des marins français et étrangers, allant sur les pavillons du monde entier.
La France peut s’enorgueillir d’un système dont la pertinence est aujourd’hui reconnue, un système dont l’ENSM est la clé de voûte. Par un soutien fiscal et budgétaire, le pavillon français a aujourd’hui trouvé un équilibre. L’équilibre est, par définition, précaire dans le transport maritime. Mais sa précarité est moins juridique et financière qu’humaine.
DOUBLER LE NOMBRE D’OFFICIERS DIPLÔMÉS DE LA MARINE MARCHANDE
La ressource en officiers est rare. Aujourd’hui, ce sont 9 000 officiers de la marine marchande qui manquent à bord de tous les navires du monde. Et ils seront 35 000 officiers à trouver d’ici à 2030. La France doit pouvoir prendre sa part dans la croissance du nombre de ses officiers, dans la croissance de son pavillon. Nous parlons ici évidemment de flotte stratégique. Ce concept né de la loi économie bleue en 2016 a su être porté par différents Gouvernements. Plus récemment, le député Yannick Chenevard a rédigé un rapport visant à structurer cette flotte stratégique, faite, aussi, de marins marchands français. Le capital humain implique une flotte stratégique, dans une stratégie de flotte parfaitement admise.
Le Fontenoy du Maritime a pu définir des objectifs de montée en puissance de l’ENSM, seul outil de formation initiale pour générer cette flotte stratégique d’officier 340. Le doublement du nombre d’officiers diplômés par l’ENSM entre 2021 et 2027 est en marche. Grâce à des moyens renouvelés, grâce à un agrandissement du site de Marseille, grâce à de nouveaux moyens mis à profit en lien avec les collectivités sur les sites de Nantes et Saint-Malo, dix ans après avoir pris livraison du navire amiral de l’École, sur le site du Havre, son siège, l’Hydro a de nouveau un cap clair.
S’ADAPTER À UN MONDE EN TRANSITION
C’est une école exigeante, une école exceptionnelle, dans laquelle les officiers sont formés à la navigation, à la mécanique, à l’électrotechnique, l’électronique, aux automatismes, à la construction et à l’exploitation de la sécurité du navire, aux sciences humaines et sociale et évidemment aux matières plus fondamentales. Les élèves qui fréquentent la formation d’officier polyvalent en sortent avec un diplôme d’ingénieur. Si les programmes définis à l’échelle internationale par une convention dédiée restent conventionnels, devant répondre à un canevas très précis, les enseignants se mobilisent pour faire de ces parcours une chance, un moment unique pour que nos élèves découvrent par la pratique une illustration concrète de la transition énergétique et digitale que le monde maritime connaît.
Car oui, nous sommes dans un monde de transitions. La transition énergétique d’abord. Les canons de la connaissance maritime d’hier ne seront pas ceux de demain. Si un savoir théorique est indispensable pour répondre aux exigences de la STCW1 il est illusoire d’imaginer que nos élèves seront spécialistes du GNL, du GPL, du diesel électrique, du méthanol, de l’ammoniac, de l’hydrogène, de la voile, des bio fuels… Les élèves officiers ne peuvent, ni ne doivent tout connaître. Ils voient leur formation rythmée de manière exigeante par des embarquements réguliers, qui les amèneront à découvrir tous les navires du monde, sur toutes les mers du monde. La transition est aussi digitale. Si l’inquiétude de la télé-opération irrémédiable du navire continue de prendre de l’ampleur, il ne faut pas oublier que les outils d’aide à la navigation sont monnaie courante. Aujourd’hui, comme hier, charge aux enseignants de parvenir à positionner nos élèves dans cette révolution. Il faut les encourager à être de véritables techniciens, des ingénieurs à bord des navires2, moins fiers d’un diplôme qu’ils arborent que d’une débrouillardise que l’on connaît à tous les Hydros et qui fait leur force.
FAIRE RAYONNER L’ECOLE ET SES VALEURS
Nous ne devons jamais oublier que nos élèves sont aussi, bien entendu, des étudiants, qui viennent apprendre le monde dans les Universités. Ils doivent vivre leur vie d’étudiant, participer à la vie de la cité, connaître le monde tel qu’il est par l’art, la littérature et les traditions du maritime, sans jamais oublier le respect indispensable que doivent avoir les marins, avec un esprit d’équipage. À ce titre le Contrat d’objectifs et de performance 2023-2027 de l’École doit pouvoir amener à un salut nouveau. Autour de grands projets, la Fondation ENSM, créée en 2023, vise à financer des choses que l’École n’imaginait pas. Un concours de modèles réduits de navire, Hydrocontest by ENSM, une mini-série documentaire, un album de chants de Marin, un équipage composé d’un enseignant et d’un élève lors de la prochaine transat Jacques Vabre, autant de projets qui font que l’École sera attractive ou ne sera pas.
Nous sommes plus que jamais dans la bataille des compétences, nous devons attirer à nous, plus qu’aucun autre secteur, autant de talents qu’il est possible d’attirer. Il en va de la souveraineté de notre pays de sa capacité à préserver une flotte qui lui permet de poursuivre sa marche vers une croissance bleue durable et définitive. Une force que la France ne peut ni ne doit négliger plus longtemps.
- Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW).
- Et même à terre car nous formons aussi des ingénieurs en génie maritime depuis 2018.