Lors d’une conférence de presse à Marseille, la direction et son équipe de juristes ont dévoilé mercredi leur stratégie pour s’opposer à la décision rendue le 2 mai par la Commission européenne : une stratégie fondée sur le droit mais d’allure également très politique, un choix revendiqué.
A la suite d’une plainte du concurrent italien Corsica Ferries, Bruxelles avait estimé qu’une partie de la délégation de service public (DSP) attribuée à la SNCM entre 2007 et 2013 entre la Corse et le continent, le « service complémentaire » (renforcement des lignes en haute saison), ne pouvait être incluse dans cette délégation. Elle avait condamné la compagnie à rembourser à la collectivité de Corse (CTC) 220 millions d’euros.
Avisée officiellement de cette décision vendredi, la SNCM a annoncé son intention de déposer un recours en annulation devant le tribunal de première instance de l’Union européenne, accompagné d’un sursis à exécution pour ne pas avoir à rembourser cet argent avant la décision sur le fond. Cette défense sur le droit s’appuiera sur le traité de Lisbonne et les règlements communautaires.
Mais la compagnie compte aussi porter un combat « beaucoup plus large, beaucoup plus général sur le service public », selon les mots de l’avocat Jean-Pierre Mignard, une personnalité elle-même très politique et proche du gouvernement – il est membre du PS – choisie pour diriger l’équipe de juristes. Ce dossier « est une grande affaire pour la SNCM et une grande affaire pour la France », juge-t-il, espérant que l’Etat, « directement menacé » dans sa politique de service public, ira dans le même sens.
« La Commission fait des choix très dogmatiques (…). Ce n’est peut-être pas ceux qui seront effectués dans quelques années », estime Me Mignard.
« Les traités (…) laissent le soin aux Etats de définir eux-mêmes ce qu’ils entendent mettre dans le périmètre du service public », rappelle son associé Me Sébastien Mabile, qui considère que la Commission « fait une interprétation très restrictive » de cette notion « à travers un seul critère, celui de la carence de l’initiative privée ».
Pour lui, cette interprétation est « absurde, ça reviendrait à dire que les hôpitaux ne peuvent relever du service public, puisqu’il n’y a pas carence de l’initiative privée dès lors qu’il y a des cliniques! »
« La Commission nous dit: il n’y a pas de service public dès lors qu’il y a initiative privée », renchérit la professeur de droit de l’université de Montpellier, Pascale Idoux, qui fait également partie de l’équipe de juristes. « Le langage de la Commission est un langage anachronique », estime-t-elle, rappelant que la notion de service public a largement évolué dans le droit européen ces dernières années.
Si elle est confirmée, la décision de la Commission, gardienne de la concurrence, « ruine purement et simplement le modèle économique de la SNCM », observe de plus Me Mignard. « Cela signifierait qu’il n’y aurait plus de SNCM au départ de Marseille, et qu’ainsi nous nous trouverions (…) avec Corsica Ferries en situation de monopole », « beau raisonnement, au pays de Descartes », ironise-t-il.
Il existe plusieurs recours avant que cette décision devienne définitive, devant le tribunal de première instance, puis devant la Cour de justice de l’UE.
Fort de ces possibilités, le PDG Marc Dufour considère que cette procédure n’est « pas une menace économique pour l’entreprise » et se dit « extrêmement confiant ». Il concède cependant que « cela hypothèque tous les actes de gestion de l’entreprise », notamment sa relation avec les banques et la CTC pour le renouvellement de la DSP.
Il pointe enfin l’absurdité de cette décision tardive. « On nous dit, 5 ans et demi après, alors que le service a été rendu (…), +ce que vous avez fait, ce n’est plus valable+. Si on avait fourni un bien, on nous rendrait ce bien. Mais on a fourni une prestation de service! (…) Dans ces cas-là, il fallait le dire avant! »
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