Classée zone Natura 2000, la baie bretonne est le théâtre d’une lutte centenaire entre l’homme et la mer. Depuis la construction d’une digue au XIIIe siècle par des moines, plusieurs centaines d’hectares de terres agricoles ont été gagnés sur la mer. Au fil des siècles, quatre digues ont été érigées, repoussant d’autant le trait de côte.
Pourtant, les perspectives planétaires d’élévation du niveau de la mer et de submersion semblent déjà une réalité à Lancieux. « Même si la mer ne monte que de 60 cm d’ici 2100, on sait que nos digues ne sont ni assez hautes ni assez résistantes. Aujourd’hui en période de grande marée, la mer lèche déjà le haut des digues », reconnaît Michel Aussant, conseiller municipal à Lancieux.
Face aux enjeux de demain, le Conservatoire du littoral (CdL), propriétaire d’une partie des terrains, a intégré la baie dans l’expérimentation « Adapto », menée depuis 2018 sur dix sites en France, afin d’imaginer des solutions locales « fondées sur la nature ». Il s’agit notamment d’épauler les collectivités, dotées depuis quatre ans d’une compétence de prévention des inondations.
Le sujet est d’autant plus prégnant que l’une des digues s’est ouverte début 2020 sous l’effet conjugué du temps et de la houle, laissant l’eau reprendre sa place et les pâturages s’effacer devant l’obione et la salicorne, caractéristiques des marais salés.
« Nous l’avions déjà réparée à plusieurs reprises mais la vacuité de ce combat n’est plus à démontrer. On construisait avec de l’argent public ce que la mer s’amusait à démolir. Il fallait changer de paradigme », résume Gwenal Hervouët, délégué régional adjoint du CdL. Décision a donc été prise de ne pas reboucher la brèche et d’en faire « une opportunité ».
– « S’adapter » –
« Aujourd’hui ce paysage façonné par l’homme n’est plus adapté au changement climatique. Entre la stratégie qui consiste à résister ou à s’adapter, le Conservatoire et les collectivités ont choisi de s’adapter, d’autant que reconstruire la digue actuelle coûterait plusieurs millions d’euros », assure Gaëtan Doineau, garde du littoral à la communauté de communes Côte d’Emeraude.
L’une des solutions consiste à accompagner le retour de la mer dans les zones anciennement poldérisées et à recréer une zone humide qui jouerait un rôle de tampon entre mer et terre en absorbant une partie de l’énergie des vagues lors des tempêtes. « Il ne s’agit pas pour autant d’attendre, bras croisés, que la mer monte », souligne M. Doineau.
Plusieurs mesures ont ainsi été prises pour prévenir les risques d’inondation à Beaussais-sur-Mer, voisine de Lancieux: déplacement d’un chemin et d’un poste de relevage des eaux usées, fermeture d’une route.
Une maison construite après la digue, qui s’est retrouvée les pieds dans l’eau en mai 2021, a dû être évacuée avant d’être rachetée par le Conservatoire du littoral.
Mais accompagner le recul du trait de côte n’est pas possible partout dans la baie. « On peut reculer et puis à un moment, il faut aussi se défendre », prévient Michel Penhouët, chargé de l’environnement à la communauté de communes.
La loi oblige en effet les collectivités territoriales à entretenir la digue côté Lancieux, dans la mesure où cette dernière protège une trentaine d’habitations, un camping et un golf. « On a bloqué une extension du camping vers la mer mais à terme, une nouvelle digue est envisagée plus en amont », indique Michel Aussant.
Déplacement, rachat, protection, « aux collectivités de faire leur choix », précise Gwenal Hervouët. Car faut-il construire une digue en 2050 qu’il faudra surélever en 2100? « Le problème c’est qu’on ne sait pas de combien ni à quelle vitesse la mer va monter », observe M. Penhouët.
Certains habitants ont toutefois l’impression d’avoir été « oubliés », comme M. Noël, qui, sans être opposé au projet, souhaiterait avoir la garantie que sa maison, construite au XVIIIe siècle, ne finira pas sous l’eau.